AFRICA RACE 2020 : SPÉCIALE 10 NEUTRALISÉE À LA MOITIÉ. SUPERBE RÉACTION DE L’ORGANISATION. VICTOIRE DE GRITTI ET FROMONT

 

RENÉ METGE, ORGANISATEUR ET HUMANISTE

 

Il y a sur ce rallye raid une atmosphère incroyable, l’humanisme.

On s’en est encore rendu compte aujourd’hui lorsque l’Africa Race a du gérer en même temps des chutes de motards avec blessures et un temps exécrable, voire dangereux , se retrouvant donc avec ses hélicos dédiés à la sécurité coincés en intervention sur ses blessés.

J’y reviendrai mais il y a deux histoires qui vont incroyablement dans ce sens de l’humanisme.

Il y a sur l’Africa Race plusieurs personnes handicapées ce qui est théoriquement impensable dans une discipline aussi dure physiquement. Un rallye c’est incroyablement compliqué à organiser et accepter d’inscrire des gens handicapés est une charge supplémentaire.

Ces concurrents ont été accueillis dans des conditions incroyables, par exemple sur le bateau pour se rendre au Maroc il a été prévu des cabines spécialement équipées, dont les toilettes…

Tout ça avec 500 personnes à gérer !

 

GEOFFROY NOËL DE BURLIN, PILOTE HANDICAPÉ

 

J’ai assisté par exemple à un truc incroyable, je ne vais pas m’étendre là-dessus j’en ai déjà parlé.

Un concurrent handicapé sévère court en solitaire, on dit Iron Man en sports mécaniques, il a d’ailleurs fait de très gros résultats sportifs, il s’agit de Geoffroy Noël de Burlin.

Il est très largement aidé aux étapes, il est enthousiaste tout en souffrant deux fois plus que les autres, il est heureux de faire partie d’une aventure à laquelle en général les handicapés sont interdits de séjour.

 

L’HISTOIRE PHÉNOMÉNALE DE NICCOLA DUTTO ET SES COMPLICES

 

Autre histoire superbe, j’ai eu sous les yeux hier un cliché d’Alain Rossignol montrant un motard qui chute dans le sable, ça c’est normal tout le monde y a eu droit, mais qui est resté assis sur sa moto même couchée dans le sable, deux autres motards s’arrêtant pour l’aider.

C’était juste beau. Digne de l’état d’esprit de ce genre de compétition et pas spécifique à celle-ci.

Un pilote, il y a très longtemps, m’avait dit que dans le mot rallye-raid on entendait «aide» et j’avais bien aimé ça.

Mais cette histoire va infiniment plus loin..

Il s’agit d’un motard italien, Niccola Dutto, qui n’a plus l’usage de ses jambes.

 

LES JAMBES SANGLÉES DANS LE CADRE ! HALLUCINANT…

 

Elles sont sanglées sur sa moto et quand il chute, il reste en selle bien sûr.

Et il roule en permanence avec deux motards, l’un le suit, l’autre le devance et tous deux s’arrêtent en cas de chute ou d’ensablement, l’un est espagnol, Julian Villarubia Garcia, l’autre est italien et s’appelle Stefano Baldussi.

Bien sûr ce qui m’épate c’est la volonté de ce mec, avec en plus l’aide de deux potes qui ne roulent que pour lui.

 

DANS « RALLYE RAID » ON ENTEND « AIDE »

 

Mais ça, l’entraide, ça existe, on le voit tous les jours, ce qui m’épate c’est qu’une organisation qui est responsable de 500 personnes, entre les concurrents, les mécanos, les gens du catering (la bouffe), les médecins, les contrôleurs de passage, etc… aient accepté cette charge et cette responsabilité énorme qui évidemment complique la vie alors que rien n’est jamais simple dans le désert.

Une amie de Jean Louis Schlesser et René Metge me dit qu’ils sont de vraies «assistantes sociales» pardon, le mot doit exister au masculin mais je le trouve moins fort.

C’est une de leurs fiertés et elle magnifique…

 

JEAN LOUIS SCHLESSER HOMME DE DÉFIS IMPOSSIBLES

 

Merci les mecs d’avoir accepté ce supplément potentiel d’emmerdements et bravo aux pilotes concernés de se lancer dans un truc pareil, aussi insensé qu’inimaginable d’ailleurs.

Cela dit, on a vu aujourd’hui comment ce rallye fait face à un énorme défi humain.

Quasiment en même temps, plusieurs motards tombent et se font mal. Les hélicos, les Tango (voitures de médecins) sont sur les dents et l’on est sur la spéciale la plus longue du rallye…

Quand on s’aperçoit, et ça prend peu de temps, qu’il n’y aura plus d’hélicos disponibles pour assurer la sécurité de la course devant, on prend l’initiative d’arrêter les concurrents, de garder leurs chronos.

 

BOTTURI ET GRITTI AU POINT KÉRO : LA COURSE EST FINIE

 

Ce qui fait que l’étape n’est pas annulée, les concurrents qui ont couru ne sont donc pas frustrés. Les blessés sont magnifiquement pris en charge et on s’occupe d’emmener tous les autres au bout de l’étape. Il faut beaucoup de courage pour affronter la situation, et surtout y trouver des solutions humaines alors que j’ai tellement vu d’organisateurs décider des annulations pour beaucoup moins que cela.

Alors cela dit, avant ces événements, il y a eu une vraie course et mon boulot est de raconter cette épreuve, d’en faire un compte rendu, pas seulement de lancer des fleurs quand l’organisation se sort d’un merdier potentiellement gigantesque.

Alors la spéciale…

 

MOTOS : VICTOIRE DE GRITTI (HONDA)

GRITTI VAINQUEUR INDISCUTABLE DE LA SPÉCIALE

 

C’est marrant quand j’écris ce nom, ça me rappelle Alessandro Gritti, qui  a été un fabuleux héros de l’Enduro, probablement le pilote le plus titré de l’histoire de cette discipline, une vedette italienne et mondiale de ce sport, encore adulé aujourd’hui, comme l’est Agostini dans les GP moto.

J’ignore totalement si Giovanni Gritti, vainqueur de l’étape du jour, est de la même famille, ce serait alors digne des plus grands épopées de la moto tout terrain !

 

LUCCI A OUVERT LA PISTE

 

Le matin de cette dixième étape, d’est donc Lucci qui est parti devant Botturi et Ullevalseter.

Au sol, il y a seulement les traces de la voiture des ouvreurs, passés la veille.

La spéciale est la plus longue du rallye, on part plein  ouest  en direction de la mer, 499 kms de course et une centaine de liaison pour arriver à Nemi, toujours en Mauritanie.

 

LA MAURITANIE… DES PAYSAGES UNIQUES

 

Il y aura beaucoup de passages forcés (uniques) entre d’énormes cailloux, pas mal de sable, en fait on slalomera entre les dunes mais certains cordons devront être traversés et franchis…

Bref la navigation sera compliquée aussi…

 

 

Entre le départ et l’arrivée, il y aura neuf points de contrôle, dont 3 vrais CP physiques, une auto et deux personnes qui notent les passages et les heures et six Way Points, contrôles virtuels qu’il faut trouver.

 

LA SPÉCIALE 10 EN COUPE

 

Après le plan de la journée en coupe, voici la carte ou le menu du jour et enfin la carte générale qui permet de savoir où nous sommes par rapport à Dakar, qui se rapproche…

 

 

POUR VOIR OU NOUS SOMMES

 

Au km 45, on a roulé à 60 de moyenne, le terrain est donc difficile, Gritti est passé en tête, une minute devant Ullevalseter, lui même une minute vingt devant Botturi. Lucci est moins brillant que la veille, (il a gagné la neuvième spéciale) il est huit à 4’30 de Gritti.

On roule vers le premier CP, niché au bas d’un massif de pierre très noir, facile à repérer.

 

ULLEVALSETER NE PARVIENT PAS À LÂCHER BOTTURI

 

Il fait dix neuf degrés, température idéale pour rouler. Mais il y a un vent fort, d’ouest, que les pilotes ont donc dans le dos, la poussière soulevée est gênante pour la visibilité…

Et il y a des pièges comme cette fameuse herbe à chameaux, dont les racines forment un cône dur comme du béton.

 

HERBE À CHAMEAUX À ÉVITER ABSOLUMENT

 

On arrive sur une succession de bourrelets de dunes, le seul point de repère est le cap compas, si l’on dévie de 5 degrés pour passer une ressaut plus facilement il faut compenser derrière, exercice très compliqué que les marins connaissent bien, mais même si les motos se traînent à 65 km/h, le terrain est compliqué, les bateaux ne vont pas aussi vite et les compensations de cap sont plus douces…

En fait l’idéal est la ligne droite mais la forme des tas de sable fait que l’on se dévie de temps en temps…

 

A

DUNES ET VÉGÉTATION, CURIEUX ET INATTENDU ASSEMBLAGE IMPOSSIBLE

 

Au CP1 (km 90) Gritti a deux minutes d’avance sur Ullevalseter, lui-même deux minutes devant Botturi, sans pouvoir le lâcher…

Belle bavante dans ces bourrelets de sable, entrecoupés de plats rocheux découverts, une merveille où l’on envoie du 150 allègrement…

Au CP2 (km 201) en fait 50 km avant le ravito essence, pas de changement dans le groupe de tête, Gritti deux minutes devant Ullevasleter, Botturi exactement à deux minutes du Norvégien. Autrement dit, une fois de plus, le rallye se joue des petits riens !

Ce que dit Botturi de la journée…

« J’ai 2 minutes d’avance sur Pal Anders Ullevalseter. Ce n’est vraiment pas facile car cette année Pal est très, très fort. Moi je cherche toujours à pousser au maximum. Celui qui part derrière l’autre arrive toujours à reprendre 2 minutes à celui qui est devant car la navigation est difficile. Celui qui est en tête a du mal à ouvrir la piste. Demain, c’est le dernier jour. J’aurai l’avantage de partir derrière mais rien n’est joué. Giovanni GRITTI partira 1er. Lui, c’est vraiment un bon gars. L’autre jour, il s’est arrêté et il m’a donné de l’essence. Si je suis encore premier, c’est grâce à lui. Je peux vraiment lui dire merci. »

 

BOTTURI BIEN PLACÉ POUR LA FINALE

 

Cela dit, il reste 250 km avant l’arrivée !

Mais il était écrit que cette journée la plus longue ne la serait pas.

C’est qu’il y a de la casse, de façon quasi simultanée, il y a plusieurs chutes de motards, la fatigue y est probablement pour beaucoup, certains de ces motards doivent être secourus.

L’Anglais McEwan, auprès duquel l’hélico médical va passer un long moment, est finalement évacué vers l’hôpital roulant du rallye, beaucoup mieux équipé en matériel de soins.

Jean Louis Schlesser me dit par téléphone que trois autres pilotes, victimes de fractures, sont également traités avant évacuation sur Nouakchott, la capitale de la Mauritanie…

 

ULLEVALSETER FAIT LE PLEIN AVANT D’ATTAQUER 250 KMS DE TOUT TERRAIN DIFFICILE, MAIS EN LIAISON

 

Du coup il est décidé de neutraliser la course.

Ce qui évite l’annulation pure et simple, on gardera pour le classement les chronos topés au WP 3 juste à hauteur du point de ravitaillement dit «point Kéro».

Jean Louis Schlesser y fait atterrir son avion et reste sur place durant 4 heures pour arrêter les concurrents et leur annoncer que l’étape n’est pas annulée mais neutralisée.

Ces avions du rallye sont un relais radio indispensable, peuvent se poser partout où c’est plat sur une distance très courte.

 

LES AVIONS DU RALLYE INDISPENSABLES AUX LIAISONS RADIO ET PARFOIS EN CAS D’URGENCE

 

Il est impossible de terminer la course en spéciale, les hélicos ne pourraient pas assurer la sécurité.

Les motos rentrent donc par la spéciale mais en mode liaison, elles sont lâchées par paquets de huit, les chronos de la course sont arrêtés au point «Kéro».

Je l’ai écrit hier, le désert est joueur, là il a été mauvais joueur.

Tout le monde est arrivé ce soir en bout de spéciale, les blessés sont pris en charge, aucune erreur n’a été commise dans l’organisation qui a réagi avec un discernement énorme.

Gritti gagne la spéciale, 1’51 devant Ullevalseter et 3’55 devant Botturi.

Au général, Botturi (Yamaha) a 2’04 d’avance sur Ullevalseter (KTM) et 43’20 sur Lucci (Husqvarna).

Bref, on pourrait penser que c’est fini, les deux pilotes de tête sont séparés depuis le premier jour par cet écart de deux minutes, demain il y a une petite spéciale et une grosse liaison vers St Louis du Sénégal, il est peu probable que le pilote Norvégien puisse se refaire, cela dit on l’a vu aujourd’hui, dans le désert, rien n’est écrit dans le marbre…

 

AUTOS : PATRICK MARTIN EN MARCHE VERS LA VICTOIRE

PATRICK MARTIN EN POSITION IDÉALE POUR UNE VICTOIRE SUR LE RALLYE

 

Patrick Martin et son fils, vainqueurs de la spéciale la veille, sont lâchés 35 minutes après la dernière moto, avantage il y a plein de traces qui facilitent la navigation (enfin, en principe), inconvénient les motards sont vite repris et il faut les doubler, ce qui est délicat.

Qui plus est sur un terrain tourmenté, un motard à terre peut être masqué derrière une retombée, il faut donc aborder les hauts d’obstacles, quelles que soient leurs hauteurs, avec prudence et circonspection…

 

FROMONT GAGNE L’ÉTAPE

 

Le buggy Mercedes mène le train (petit train, 50 km/h !) avec le SSV de Patrice Étienne, cet engin est très à l’aise dans les terrains difficiles, manœuvrable en diable et finalement rieur à piloter…

Kowacs et son camion Scania sont derrière avec le buggy de Fromont.

Au km 45, c’st le camion Iveco de Bouwens qui a le meilleur temps, puis viennent les SSV de Frebourg et Van der Valk et le buggy de Fromont.

 

BOUWENS A ENCORE MIS DU LOURD

 

Mais le véritable enjeu est ailleurs, entre les deux vainqueurs possibles du rallye, Patrick Martin et son Buggy Mercedes, qui est six minutes devant le camion Scania, de Kowacs.

 

KOWACS A PERDU UN TEMPS MONSTRE

 

Au km 90, l’Iveco de Bouwens est toujours en tête, devant les SSV de Frebourg et Van der Valk, le buggy de Fromont puis celui de Martin sept minutes devant le Scania de Kowacs.

Je rappelle que Martin et Kowacs ont quatre heures d’avance au général sur le troisième, le camion Scania de Fazekas, sauf erreur énorme, panne ou tout ce qui peut arriver en Rallye Raid, quatre heures ça met un peu à l’abri.

Puis… la course est neutralisée au point «Kéro», comme pour les motos. Jean Louis Schlesser est resté un temps fou à ce point de la carte pour expliquer aux concurrents auto que l’on continuait mais comme les motos, en mode liaison, en convois.

Ceci permettant à tout le monde d’avancer sans crainte de se perdre. Et ce sur un terrain  très difficile de dunes, où en cas d’ensablement ou d’erreur de navigation il y a tout de suite du monde pour aider…

 

LE SSV CANAM DE FRETIN

 

Comme pour les motos les chronos sont arrêtés au Way Point 3, au km 250, là où se trouve le Kéro.

Côté sportif, c’est le buggy de Fromont qui gagne l’étape, 9’36 devant le SSV de Patrice Etienne, 13’11 devant un autre SSV celui de Benoît Fretin. Encore un SSV à la quatrième place au scratch, celui de Frebourg, tous trois courent sur des Canam.

Le buggy Tarek Mercedes de Patrick Martin est cinquième à 22’18.

On sait que c’est là que se joue la course, enfin avec les restrictions rappelées ci-dessus, à savoir que rien n’est définitif quand on roule dans le désert.

 

MARTIN MÈNE LARGEMENT AU GÉNÉRAL

 

Parce que le Scania de Kowacs, l’autre challenger, a pris du retard et termine vingtième à plus d’une heure !

Au général, Martin a donc une heure dix d’avance sur Kowacs et quatre heures quarante et une minutes sur l’autre Scania Hongrois de Fazekas.

Patrick Martin: « Aujourd’hui, nous avons roulé sans prendre de risque. Être en tête la veille de l’arrivée, c’est toujours un peu de pression. On va essayer de faire la dernière spéciale à notre rythme. L’idée, c’est vraiment d’arriver. On connaît cette spéciale. On l’a fait depuis plusieurs années. Elle est très rapide. C’est fait pour les Buggies. Je ne suis pas trop inquiet car sauf ennuis mécaniques, on ne devrait pas finir trop loin. Mais ça, on n’y peut rien et normalement, ça devrait bien le faire. »

Autrement dit les carottes sont cuites !

Une réflexion de Gilles Pégorier, qui a été le premier à m’emmener faire de la moto dans les déserts Algérien et Tunisien, avec la Guilde du Raid.

« Avant que les carottes soient cuites, il faut les planter et ça pousse pas bien par ici… »

Réflexion qui m’est restée, dans le désert celui qui décide… est bien le désert !

 

Jean Louis BERNARDELLI

Photos : Alain ROSSIGNOL et Jorge CUNHA/Captain Nowhere etFacebook Dom Du.

 

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