LA FOLLE SEMAINE DU 1er CHAMPION DU MONDE FRANCAIS
Il est 15h51, ce dimanche 6 octobre 1985. Alain Prost vient de franchir la ligne d’arrivée.
Il est enfin CHAMPION DU MONDE !
Après un tour d’honneur, il rejoint le podium où il retrouve les trois premiers de ce Grand Prix d’Europe à Brands Hatch : Mansell, Senna et Rosberg.
Il est alors 15h55.
Après avoir été ovationné par le meilleur des publics, Prost quitte le podium et rejoint ses mécaniciens pour une photo de famille. Flanqué d’Agnès Carlier, véritable « maman » des pilotes Marlboro qui lui ouvre le passage.
Il est attendu par une meute de photographes, qui mitraillent.
On lui apporte un magnum de Moët. Et le voilà qui à son tour bombarde ceux qui le mitraillaient.
Il exulte, ivre de bonheur.
Enfin, il l’a ce titre perdu l’an dernier le dimanche 21 octobre pour un demi-point au terme du Grand Prix du Portugal qu’il avait pourtant remporté devant … Lauda, sacré !
Là, il n’a pas triomphé terminant seulement 4éme mais il est CHAMPION DU MONDE
Mansour Ojjeh, le boss de la TAG (Techniques d’avant-garde), l’homme qui a financé le moteur turbo qui équipe les McLaren, l’étreint longuement.
Lionel Chamoulaud, d’Antenne2, est le premier des télé- reporters à l’interviewer. Il a droit à deux minutes, car le timing mis au point entre la FISA (Fédération internationale du sport automobile) et Marlboro, le commanditaire de Prost, est précis.
Direction ensuite vers les studios de la BBC, où l’attendent des dizaines de télévisions pour une retransmission en mondovision.
Pour y parvenir, il faut emprunter un tunnel qui passe sous la piste, pour la circonstance, quelques minutes seulement, interdit au public.
Parvenu de l’autre côté, c’est un immense bain de foule qui l’attend. Comme les hommes d’Etat, les grands de ce monde.
Alain avance au milieu d’un cercle qui se déplace autour de lui. C’est la pagaille parmi les photographes qui prennent une photo de lui à la seconde, pour la postérité.
A 16h10, le voilà qui pénètre dans les studios de la BBC. Il va enchaîner une heure durant : la RAI (Italie), TF1 (France), BBC (Angleterre), GLOBO (Brésil) RTB (Belgique), HKC (Japon) puis les TV de Suisse, d’Autriche, d’Espagne…
Tantôt, il s’exprime en français, tantôt en anglais, tantôt en italien.
Il est 16h45.
Et le supplice de Tantale est loin d’être terminé. Car on passe alors aux radios !
Pour la France, les mousquetaires Dominique Bressot (Europe 1), Patrick Grivaz (France-Inter), Luc Augier (RTL) et Yvan Médecin (RMC) se sont groupés afin de gagner du temps et ne pas poser à tour de rôle les mêmes questions qui amèneraient inévitablement les mêmes réponses.
A 16h58, au pas de charge, entouré de dizaines de photographes qui continuent de l’immortaliser, Alain prend alors la direction de la salle de presse, où l’attentent des centaines de journaliste.
En chemin, Leo de Graffenrield (Marlboro) lui passe un superbe sweat-shirt blanc à son effigie :
« Alain Prost, Marlboro World Champion ».
Prost l’enfile. Les photographes déclenchent de nouveau leurs appareils.
Il est 17h02 quand le nouveau Champion du monde arrive dans la salle de presse.
Avant de pénétrer dans ce temple, il ôte son sweat-shirt pour être plus à l’aise. Se faufilant au milieu de ses innombrables amis, il reçoit une formidable ovation.
Lorsqu’il s’assoit sur l’estrade qui lui est réservée, les micros se tendent de toutes parts, Antony Marsh, le speaker officiel du Championnat du monde, va mener les interviews.
Il attaque :
« Congratulations au nouveau Champion de monde ».
Alain sourit, sourit et répond inlassablement aux multiples questions qui fusent tous azimuts. En français, anglais, allemand, espagnol, italien.
L’heure tourne.
Prost se lève, avec le sentiment du devoir accompli.
Il est maintenant 17h28.
Direction le mobil-home McLaren. Nouveau chemin de croix parmi le public.
Re-tunnel. Lorsqu’il rejoint son équipe, il tombe sur quelques copains journalistes qui ont pris la précaution de l’attendre dans son antre.
Il y a là, pêle-mêle, Éric Bhat (Auto-hebdo), Jean-Louis Moncet (l’Auto-Journal). Patrice Burchkhalter (AFP).
Ron Denis prévient Alain :
« On s’en va à l’héliport à 17h45 ».
Il ne lui reste que quelques minutes pour se changer, discuter avec ses fidèles copains des médias et passer plusieurs communications téléphoniques.
Finalement, son patron d’écurie lui allouera un bonus de cinq minutes.
Il est 17h50 lorsque, avec Alain, Ron Dennis et Lisa, sa girl-friend Américaine, nous grimpons dans une Range Rover banalisée. Car mon ami Mansour, l’homme d’affaires Saoudien, propriétaire de l’écurie McLaren, m’a convié – énorme privilège – à les accompagner pour rentrer et rejoindre la France dans son Jet !
Mais bien vite, nous sommes coincés, que dis-je ? Bloqués. Complètement arrêtés par les encombrements.
C’est le moment qu’Alain choisit pour nous annoncer qu’il oublié son sac avec toutes ses affaires personnelles…
Par talky-walky, Ron Dennis demande au staff de chez McLaren de nous apporter ce satané sac. C’est la raison pour laquelle nous allons traîner de précieuses minutes à faire du sur-place.
Mais bien vite, Jo Ramirez, le Mexicain qui suivait autrefois, le regretté François Cevert chez Tyrrell, nous rejoint avec ce sac.
Ron nous demande alors de descendre pour rallier l’héliport à pied, considérant que ce serait plus rapide. Après avoir parcouru plus d’un kilomètre avec nos bagages au milieu de la foule et des voitures qui nous obligent à de savants calculs pour ne pas être coincés, arrivée enfin à l’héliport, où tout le monde reconnaît LE nouveau Champion du monde.
Mansour Ojjeh nous y attend.
Il est 18h15, lorsque l’hélicoptère qui nous emmène avec Alain, quitte Brands Hatch.
Du ciel, on aperçoit des kilomètres de bouchons. Sept minutes plus tard, l’appareil un Bell Jet Ranger, aux couleurs de la TAG se pose sur l’aéroport de Beggin Hill, une ancienne piste qui date de la RAF et de la seconde guerre mondiale.
Nous montons à bord du Falcon 200 de la TAG, où se trouvent déjà Azziz, le jeune frère du clan Ojjeh, qui va piloter l’avion, et Bernard Giroux, de TF1. Notre ami le photographe Bernard Bakalian, très proche d’Alain nous retrouve aussi.
Lorsque nous décollons en direction de Paris, il est 18h49.
Cinquante -huit minutes plus tard, à 19h47, nous nous posons au Bourget.
Lorsque le premier Français Champion du monde de Formule 1 de l’histoire, pose le pied sur le sol natal, il est très exactement 19h51.
Il y a très exactement quatre heures pile, que Prost est entré dans la légende.
Pendant le vol, Alain a parlé surtout de la défaite des Français en Coupe Davis face aux Yougoslaves, mais pratiquement pas de la course.
Au pied du Falcon, une nouvelle meute de photographes et les télés.
Jean Mamère, d’Antenne 2 est bouillant, près de la syncope…
Dans cinq minutes, l’émission « Stade2 » de sa chaine se termine.
Entre Giroux (TF1) et lui, il y a eu un pacte de passé :
Antenne 2 dispose des propos d’Alain pour son émission « Stade2 » mais TF1 le récupère pour l’ouverture de son journal du 20 Heures !
Prost se prête volontiers aux questions et répond aussi dans l’intervalle aux questions que lui pose le reporter de l’Equipe, Gilles Pernet
Et que conduit Henri, le fidèle chauffeur.
Direction l’hôtel particulier des Ojjeh, de la rue St James à Neuilly pour un brin de toilette car mes mondanités ne sont pas encore terminées.
Une longue nuit débute…
En effet, Alain a promis juré à son ami Bernard Giroux d’aller à « Sports dimanche soir »
Il est donc un peu plus de 22 heures quand il se présente rue Cognacq Jay dans le VIIéme arrondissement.
Poignée de mains avec Jean Michel Leulliot, le chef du service des sports de la Une.
Et, c’est reparti.
Question – réponses
U superbe ‘one man show’ d’un Giroux en grande forme !
Et un non moins fantastique Prost au micro devant les caméras.
Mais l’heure de la liberté approche
Il est quasiment 23 heures quand nous quittons les studios
Alain s’exclame : « Ouf »
Henri et la Mercedes attendent silencieusement
Mansour Ojjeh qui a pris soin de réserver une table dans le plus grand secret, un lieu tranquille, lance alors à la cantonade :
« Â l’entrecôtes, Henri »
Nous sommes escortés d’une dizaine de paparazzi
L’aîné des fils Ojjeh nous rassure :
« Alain, nous serons tranquilles car j’ai prévu de rejoindre le restaurant par une porte anonyme, celle des cuisines »
Arrivés porte Maillot, à l’angle du boulevard Pereire, effectivement, on nous dirige non pas vers l’entrée du Relais de Venise, plus connu sous le nom de l’Entrecôte, mais vers la porte d’un immeuble, tout ce qu’il y a de plus simple du Boulevard Pérreire, à l’angle de la rue du Débarcadère
Nous croisons alors les quelques copains conviés par les Ojjeh
Il y a là, Geneviève et Jean Pierre Jabouille, Norbert Saada, le célèbre producteur de cinéma – l’homme qui avait fait réaliser les fameux badges ‘ Touche pas à mon Prost’ – accompagné de son épouse Jackie, ainsi naturellement que Ron Dennis et Lisa
En tout, nous sommes une petite quinzaine autour d’une grande table.
Le repas est simple
Salade, pièce de bœuf-frites et framboises
Et croyez-moi le Bordeaux coula à flot, ce soir-là !
A minuit trente par la même porte dérobée, nous quittons l’établissement
Hélas, les Ojjeh ont fait venir une splendide Oldsmobile cab datant de 1947
Le temps de s’y engouffrer et les paparazzis qui planquaient depuis notre arrivée nous repèrent…
Aprés une belle ballad autour de la place de l’Etoile direction le ‘Club ‘ à la mode, la boite qui cartonne l’Atmosphère »
Là, Thierry Rey, le Champion Olympique de judo vient féliciter Alain Prost. Comme beaucoup d’autres parmi lesquels, Jean Louis Schlesser.
Il est trés exactement … 2 heures 38’, quand Alain découvre la ‘ UNE ‘ du grand quotidien sportif ‘ L’Equipe ‘ que vient de lui apporter Norbert Saada :
« IL PASSE A LA PROSTÈRITÈ »
 3 heures, Ron Dennis rentre.
Une heure plus tard, Alain l’imite et s’assoit aux côtés de Jean Pierre Jabouille qui va le raccompagne.
Après de nouvelles obligations le lendemain, lundi 7 octobre, re-TF1, pour le journal de 13 heures d’Yves Mourousi
Avant ensuite de s’envoler pour Londres et une conférence organisée par son sponsor, la maison Philip Morris, Alain fera encore un détour par l’Ambassade de Bulgarie où les membres de la FIA (Fédération Internationale Automobile) réunis en Congrès mondial étaient conviés à un déjeuner, afin de saluer le Président de la FFSA, de la FISA et de la FIA, le tout puissant, Jean Marie Balestre.
Le lendemain, le CHAMPION DU MONDE, s’accordera enfin un peu de liberté et de détente à l’invitation de Jean Berchon de la maison Moet&Chandon, et ce afin de visiter les chais des plus fameux châteaux du Bordelais, à l’occasion des vendanges, les grands crus : Yquem-Petrus-Laffite-Mouton Rothschild-Margaux et Latour !
Voyage prévu de longue date depuis le printemps, à nouveau en jet et auquel nous étions là aussi conviés avec Bernard Bakalian, en compagnie de Jacques Laffite et de Jabouille.
Le jeudi, Alain regagnera, enfin mais que pour quelques heures son domicile, avant d’entamer dès le week-end une nouvelle série de déplacements qui le conduira successivement, à Paris pour sa toute 1ére conférence de presse officielle au siége de la FIA, place de la Concorde et en présence de Jean Marie Balestre, puis à Bruxelles, Londres de nouveau et Milan.
Quarante-huit plus tard en sa compagnie, nous nous envolions déjà pour le GP suivant, celui d’Afrique du sud à Kyalami, près de Johannesburg, épreuve où il se classera 3éme, précédé par les deux Williams-Honda, de Nigel Mansell et Keke Rosberg
Voilà ce premier des quatre titres mondiaux d’Alain Prost, reste un immense souvenir et ce d’autant plus, qu’outre tous ces déplacements, j’avais été invité à l’accompagner sur le podium de Brands-Hatch, pour représenter la FIA dont j’étais à l’époque l’attaché de presse.
Quelques semaines plus tard, autre privilège énorme, Jean Marie Balestre, m’avait dépêché en Argentine pour aller récupérer l’Icone ‘ le grand Juan Manuel Fangio et l’accompagner dans son voyage en France pour venir célébrer à Paris, à l’invitation de la FIA, le 1er titre mondial d‘un pilote tricolore en Formule 1 !
Alain en fin de saison, à l’issue des deux derniers Grands Prix du calendrier 1985, ceux d’Afrique du sud et d’Australie, le 1er organisé à l’époque à Adélaïde, totalisera 76 points et devancera le pilote Ferrari, l’Italien Michele Alboreto+ son dauphin avec 53 points.Le podium 1985, étant complété par le Finlandais Keke Rosberg, avec 40 points.
Ensuite, on pointait dans l’ordre, le Brésilien Ayrton Senna avec 38 points, l’Italien Elio de Angelis+ avec 33 points, l’Anglais Nigel Mansell avec 31 points, le Suédois Stefan Johansson avec 26 points, le Brésilien Nelson Piquet avec 21 points, le Français Jacques Laffite avec 16 points et l’Autrichien, Niki Lauda le Champion du monde en titre et seulement dixième un an plus tard avec 14 points.
(Attribution des points 9-6-4-3-2 et 1 aux six premiers)
Gilles GAIGNAULT
Photos : Bernard BAKALIAN
NOTRE SUJET SUR LE LIVRE EXCEPTIONNEL QUE VIENT DE LUI CONSACRER BERNARD BAKALIAN