F1. LA TYRRELL PROJET 34 : UN … RÊVE INACHEVÉ!

 

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PROJET 34 : UN RÊVE INACHEVÉ

Un peu d’histoire… 

Plusieurs concepts surprenants et innovants, ont été vus en Formule 1, au cours des années 1960­ 1970.

Mais en 1976, celui de l’Elf­ Tyrrell Project 34, dénommée P34 avait vraiment de quoi étonner. Son design radical allié à ses six roues, semblait d’ailleurs en mesure de dicter l’avenir de la formule reine du sport automobile.

Ken Tyrrell avait dit une fois à François Guiter, Directeur du sponsoring et de la compétition chez le pétrolier ELF, le tout puissant sponsor à l’époque :

« Il faut donner de temps en temps aux ingénieurs la possibilité de réaliser leurs rêves. »

Le vieux rêve d’un ingénieur

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TYRELL-P34-Derek-Gardner-et-Ken-Tyrrell-Patrick-Depailler-au-volant -Photo ArchivELF

 

La genèse du Projet 34, trouve ses origines en 1968, année de tous les bouleversements…

Et le sport automobile n’y échappe pas! Derek Gardner développe son concept initial lors des 500 Miles d’Indianapolis. La Lotus 56 donnait alors des soucis aux pilotes Joe Leonard, Art Pollard et Graham Hill. En effet, à une époque antérieure aux ailerons, la forme quasi ­rectangulaire de la voiture, plus large à l’arrière, rendait l’avant instable lors des accélérations et des décélérations.

La guerre au sous­ virage, vient donc d’être déclarée ! Derek a alors une idée révolutionnaire : faire de la Lotus une voiture à six roues !

Selon lui, quatre petites roues à l’avant réduiraient l’effet de soulèvement.

Ainsi, l’aileron avant pourrait être plus petit, voire prendre la forme d’un bouclier enveloppant et créerait alors moins de traînée. Un concept assurément résolument très en avance sur son temps !

Les premiers boucliers­ avant ne verront le jour que deux ans plus tard en 1970. Même l’avant gardiste  directeur général de l’écurie Lotus, le génial ingénieur Colin Chapman, trouve l’idée saugrenue et n’y est pas favorable du tout.

Derek se tourne alors vers Ken Tyrrell. Ce dernier l’engage comme directeur technique en 1970 pour concevoir la première Tyrrell de Formule 1 : la 001. Derek Gardner réalisera toutes les monoplaces Tyrrell, de la 001 à la fameuse P34, entre 1970 et 1977.

La 001, construite sur le modèle de la fantastique Matra ­Elf MS80 sacrée Championne du monde en 1969, remportera les deux couronnes, constructeur et pilote avec l’Écossais Jacky Stewart.

Après la mort le samedi 6 octobre 1973, lors des essais du GP des Etats-Unis à Watkins Glen, de l’équipier de ce dernier, le grand espoir Français François Cevert et sa retraite anticipée à la fin de cette saison 1973, un nouveau duo se forme au sein de l’équipe Elf Tyrrell : celui formé du Sud-Africain Jody Scheckter et du Français Patrick Depailler.

Le chef ingénieur de la prestigieuse équipe Elf­ Tyrrell Racing a permis à son écurie de connaître la gloire durant les premières années de la décennie 1970. Mais le Team Lotus en 1972, rafle les deux couronnes avec son pilote Brésilien, Emerson Fittipaldi.

En 1973, Jackie Stewart parvient à reprendre la main, mais Lotus souffle à Tyrrell le titre constructeur.

La Scuderia Ferrari achèvera les années suivantes le déclin de l’écurie. En 1974, La 006 étant dépassée par les Ferrari 312 B3 et la 007, par les 312 T en 1975, Ken Tyrrell donne enfin son feu vert à Derek Gardner.

 

Le Projet 34 verra bien le jour.

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F1 TYRRELL P34 PATRICK DEPAILLER au Grand Prix de MONACO en 1976

 

Un rêve, c’est bien ainsi que l’on peut qualifier ce qu’a été le Projet 34. Le rêve d’un homme : Derek Gardner.

Désormais, ce dernier a carte blanche. Ken Tyrrell l’a décidé. Il faut faire du neuf.

Cela fait près d’une décennie que Derek attendait ce moment. Il va pouvoir enfin faire aboutir son rêve : créer une formule 1 à six roues !

 

Le rêve réalisé

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F1-TYRRELL-P34-1976-GP-ALLEMAGNE- Jody SCHECKTER.

 

Le 22 septembre 1975, au Heathrow Hilton Hotel de Londres, la Tyrrell Project 34 est présentée à la presse du monde entier. La nouvelle Formule 1 aurait dû logiquement être dénommée Tyrrell 008 puisqu’elle succédait à la 007.

Mais c’est bien le nom de P34 qui fut choisi pour Project 34.

L’attraction autour de ce nom de code mystérieux exercée tout au long de l’année 1975 l’avait emporté sur la logique des numérotations de châssis.

Le 34éme  projet de Derek Gardner était, à sa grande satisfaction, la Formule 1 six roues dont il avait rêvé pendant près d’une décennie.

Le grand public, la presse et même les concurrents étaient conquis devant une telle merveille de technologie et de design. Et pourtant, le meilleur était encore à venir car ce prototype n’était alors qu’une extension d’un châssis de Tyrrell 007 avec de nouveaux pontons latéraux et un avant en forme d’un large bouclier assez grossier et pas encore très abouti.

 

 François-Guiter-Photo-Manou-ZURINI

François-Guiter-Photo-Manou-ZURINI

 

La décoration très particulière retenait également l’attention. François Guiter connaissait bien la raison pour laquelle la nouvelle P34 était décorée de bandes jaunes, comme il l’expliquait lui-même avant sa disparition :

« l’idée initiale était de mettre le V6 Turbo Renault sur la Six Roues. Il était prévu une voiture bleue avec bandes jaunes puis une fois le moteur Renault installé, une voiture jaune avec bandes bleues. Mais Ken Tyrrell s’est finalement lassé des vicissitudes du moteur Renault et n’a pas respecté son contrat avec la Régie. »

Le petit Renault Gordini V6 1,5 l turbo n’était en effet pas encore franchement au point pour être installé dans la Tyrrell. Derek Gardner reçut néanmoins une maquette du V6, mais envisagea une implantation bien trop farfelue pour Ken Tyrrell.

Les essais de l’intersaison 1975­-1976 se sont d’ailleurs avérés plus difficiles que prévus. La P34/1 ne pourra manifestement jamais courir. Une toute nouvelle Formule 1 est alors construite : la P34/2.

Six châssis P34/2 seront au total construits. La P34/2 est beaucoup plus aboutie techniquement et aéro dynamiquement que ne l’était la P34/1, reléguée désormais au musée.

 

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F1 1976 -Premiers essais qualificatifs Tyrrell P34-2 essais JARAMA  2 Mai 1976  -Patrick DEPAILLER.

 

Ainsi la Tyrrell P34/2 ne fera son apparition officielle qu’au Grand Prix d’Espagne, le 2 mai 1976 à Jarama, le circuit Madriléne. C’est justement à l’occasion de cette course que le nouveau règlement de la saison 1976 entre en application.

Les grandes cheminées surplombant le moteur, dénommées « schnorkels », disparaissent et les ailerons arrière rétrécissent ainsi que leur porte à faux. En outre, aussi incroyable que cela puisse paraître c’est Patrick Depailler qui sera le premier à lui faire disputer un Grand Prix.

Comme nous l’expliqua François Guiter :

« Patrick Depailler adorait la voiture, alors que Jody Scheckter la détestait. »

Jody surnomme en effet cette P34/2, ‘le tas de ferraille’! Il ne croit pas une seconde au projet fou de Derek Gardner. Et pourtant il gagnera bien une course avec la Six Roues, cette année-là !

Mais n’allons pas trop vite…

A Jarama, Patrick Depailler abandonne bêtement victime d’une sortie de piste, non sans s’être préalablement qualifié à la troisième place.

Si les pilotes se plaignent d’un problème récurrent de sous­ virage, la voiture peinant à s’inscrire dans les courbes, le potentiel de la P34/2 se confirme lors des courses suivantes.

 

TYRELL P34 - JODY SCHECKTER au GP de BELGIQUE 1976 a SPA

TYRELL P34 – JODY SCHECKTER au GP de BELGIQUE 1976 a SPA – Photo ELF

 

En Belgique, Jody Scheckter se décide enfin à essayer la P34/2 et il se classe quatrième. À Monaco, Jody Scheckter et Patrick Depailler entourent le vainqueur Niki Lauda sur le podium. Le succès intervient enfin de la plus éclatante des façons, au Grand Prix de Suède, pour la quatrième sortie de la P34, le 13 juin 1976. La Six Wheeler se révèlant particulièrement à l’aise dans les grandes courbes d’Anderstorp.

Parti depuis la pole position, Jody Scheckter remporte la course, non sans avoir bénéficié de l’abandon des Lotus et de leur disqualification pour départ anticipé. Ce sera hélas le seul moment de gloire de l’attachante P34/2 à six roues.  Patrick Depailler assurant quant à lui le doublé. L’inverse aurait été plus souhaitable, étant donné l’énergie déployée par le Français pour faire progresser sa chère P34/2,  le Sud­Africain n’en ayant cure.

 

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F1-Victoire-unique-de-Jody-Scheckter-au-Grand-Prix-de-Suède-1976-au-volant-de-la-Tyrrell-P34

 

Malgré un bon niveau de performance ­six autres podiums suivront durant la suite de la saison, les pilotes Tyrrell ne rééditent pas leur exploit et sont le plus souvent dominés par les Ferrari et les McLaren.

En permettant à l’écurie Elf­-Tyrrell de se classer à la troisième place du Championnat du monde des constructeurs, et à ses pilotes de terminer respectivement troisième et quatrième du Championnat des pilotes, la P34/2 sauve néanmoins l’écurie de la Bérézina : elle s’est régulièrement montrée à la hauteur des meilleures monoplaces du plateau, malgré ses défauts.

Ces derniers ont affecté sa compétitivité, notamment un manque de finesse aérodynamique et donc une vitesse de pointe insuffisante en ligne droite. Le double système de freinage, rendu nécessaire par le double train avant, a également été source de plusieurs soucis.

Le manufacturier Américain de pneumatiques Good year, n’a pas arrangé les choses en refusant de répercuter les évolutions des pneumatiques standards sur les petits pneus avant spéciaux de la P34/2,  ce qui l’a fortement désavantagée face à ses concurrentes.

Du côté des pilotes, les avis sont très divergents : Depailler est enthousiasmé par le concept, mais son coéquipier Scheckter, malgré sa victoire en Suède, pense que l’Elf­ Tyrrell Racing Team, s’est engagé dans une voie sans issue et ne croit pas en l’avenir de la P34/2.

Ce sentiment motive donc son départ en fin de saison, en direction du Walter Wolf Racing Team.

 

Le rêve devenu cauchemar

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F1-TYRRELL-P34-RONNIE-PETERSON en 1977

 

À la fin de l’année 1976, la situation financière du Elf­-Tyrrell Racing Team, s’est très dégradée depuis ce 22 septembre 1975, où tous les espoirs étaient permis. La P34/1 avait été ce jour­-là présentée en grande pompe avec le soutien total du pétrolier Français Elf qui en avait fait sa nouvelle mascotte publicitaire.

Mais cet état de grâce avait une condition : l’association avec la Régie Renault.

La marque au Losange avait en effet mis le couteau sous la gorge à Elf :  C’était soit Tyrrell, soit Renault !

François Guiter pour conserver Tyrrell comme partenaire, avait alors eu l’idée géniale d’associer la puissante Régie avec la petite écurie anglaise. Mais, pn l’a dit, Ken Tyrrell n’avait pas respecté son contrat. La P34 ne sera jamais équipée du moteur Renault­ Gordini V6 Turbo.

Elf diminue alors considérablement son soutien à l’équipe Tyrrell à partir de la fin de l’année 1976.

 

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F1-Patrick-Depailler-au-volant-de-la-Tyrrell-P34-2-B-ou-P34-3-dans-les-rues-de-Long-Beach-en-1977

 

L’oncle Ken doit alors trouver un nouveau partenaire. Ce sera la puissante banque Américaine New­yorkaise ‘First National City Bank’. Les P34 seront alors affublées des couleurs bleu azur et blanche du nouveau sponsor.

En 1977, Tyrrell sort une version évoluée de la P34 qui se distingue par une aérodynamique profondément remaniée, dénommée dans le jargon des ingénieurs P34/2 B.

Mais, comme l’expliquait François Guiter

« Derek Gardner en a oublié complètement les pilotes dans l’histoire ! Du coup, ils étaient cuits à l’intérieur comme à Long Beach 77 ».

Patrick Depailler continue néanmoins à s’impliquer à fond dans le projet de Gardner, tandis que le nouveau venu, le Suédois Ronnie Peterson, est décontenancé comme son prédécesseur par le comportement de la P34. En effet, la monoplace s’avère être un retentissant échec et donne raison à Jody Scheckter.

La voiture souffre d’une mauvaise répartition des masses, entraînant une mauvaise tenue de route. À un point tel que trois carrosseries différentes seront testées en 1977 mais sans résultat probant.

La plus spectaculaire est celle de fin de saison avec ses voies élargies et les roues avant qui se retrouvent totalement en dehors du bouclier. Ce dernier ne les enveloppe plus du tout, les roues ressortant complètement.

La carrosserie initiale de 1976 sera même réutilisée à Monaco et en Belgique en plus de la première carrosserie profilée du début de saison 1977. En outre, Good year persiste dans son refus de catégorique de faire évoluer de manière spécifique les petits pneus avant, dont le comportement n’est plus en adéquation avec celui des pneus arrière.

Pour couronner le tout, le moteur V8 Ford Cosworth n’est plus aussi fiable qu’auparavant. Rien d’étonnant alors à ce que la saison 1977 s’avère catastrophique.

 

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F1-TYRRELL-P34-Ronnie-Peterson-et-Patrick-Depailler-à-Monza-en-1977-au-volant-de leur P34

 

Patrick Depailler fait pourtant tout son possible pour obtenir de bons résultats en course et s’implique dans le développement de la voiture. Mais son nouvel équipier, Ronnie Peterson est très découragé. Les deux hommes ne décrochent que quatre podiums : trois pour Depailler et un pour Peterson. Du coup, l’écurie recule à la sixième place dans la hiérarchie des constructeurs.

Et ce qui devait arriver, arriva…

En fin d’année, Tyrrell renonce définitivement au concept de monoplace à six roues, choix motivé en partie par un constat d’échec à l’issue de deux années globalement décevantes, mais aussi par la volonté de Goodyear de ne plus concevoir des pneus aux dimensions spéciales pour la seule écurie Tyrrell.

Derek Gardner, comme il l’avait annoncé en cours d’année, quitte le sport automobile en fin de saison, laissant le soin à son remplaçant, Maurice Philippe de concevoir d’abord une P34 Renault dans l’espoir de bénéficier de pneus … Michelin, en raison du partenariat Renault­ Michelin.

Puis finalement, il choisit le projet de la plus conventionnelle Tyrrell 008 à quatre roues, appelée à disputer le Championnat du monde 1978.

C’est le début de la descente aux enfers pour Tyrrell qui ne reviendra jamais au plus haut niveau.

En Formule 1, le temps est toujours compté pour les ingénieurs. La Tyrrell à Six Roues a subi cet impitoyable état de fait. La P34 issue du rêve d’un visionnaire, le regretté Derek Gardner, restera, quoiqu’il en soit, à jamais comme la Tyrrell et a fortiori la Formule 1, la plus époustouflante qui ait jamais vu le jour.

Né le 19 septembre 1931 à Warwick, Derek Gardner, nous a quittés le 7 janvier 2011 à Lutterworth  près de Leicester en Angleterre.

 

Benoit CASAERT

Photos : ELF -Manou ZURINI et Jean François THIRY

 

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