Manou ?
Dans l’univers de la Course Automobile en France, tout le monde le connait.
Manou ? Émmanuel Zurini, pardi, le plus ancien des photographes.
INCONTOURNABLE.
Ses clichés superbes, ont fait le tour du monde.
Sa brillante carrière de photographe est intimement lié au renouveau de la compétition au milieu des années 60. L’époque où la France a retrouvé une dynamique sportive sur les circuits.
Avec les firmes Alpine et Matra d’abord puis ensuite Renault et Ligier.
Période, où il a débuté une ‘petite’ carrière de pilote, avant d’entamer par la suite sa formidable carrière de photographe.
Au sein de l’Agence DPPI. avant plus tard de rejoindre le clan de François Guiter et de fournir ELF, l’incontournable partenaire de tous les pilotes et de toutes les grandes équipes et écuries.
Aujourd’hui retiré des circuits, Manou poursuit avec un égal talent une deuxième vie, étant devenu un artiste, un sculpteur de renommée internationale !
Mais revenons en arrière et intéressons-nous à son parcours et racontons le fil de sa vie et son histoire.
Après l’avoir côtoyé des années durant sur tous les Circuits du Monde, nous l’avons retrouvé et rencontré chez lui, où il a installé son atelier.
Manou Zurini est né le 24 Janvier 1942, à Paris 17ème.
Ses débuts dans le Sport Auto suite à une rencontre dans un café rue Monsieur le Prince, au Quartier Latin, à Paris du côté de l’Odéon. Et dénommé ‘Le Trou du Cru’ remontent à l’année 1957
Manou qui, à quinze ans, y croise un garçon un peu plus âgé, il avait alors 20 ans, un certain Jean Pierre Beltoise. Mais il va le perdre rapidement de vue car JPB doit partir comme soldat de l’Armée Française, à la guerre d’Algérie.
Au Bar du ‘Trou du Cru‘ Manou outre Beltoise, fait la connaissance de Jean Pierre Bailby, qui deviendra plus tard, le Patron du Département Motos chez BMW-France et de Jacques Guichard, un steward à Air- France. Les trois sont des inconditionnels des Compétitions Autos et Motos.
Un soir dans la conversation, l’un des trois, lâche ‘demain samedi on sort la Lotus’ !
Manou se souvient :
« Je glandais et par hasard, j’allais souvent rue Monsieur le Prince car mon père, qui était un artiste, un peintre et aussi critique de musique dans cette même rue, où se trouvait et se trouve toujours une boîte, un cabaret qui s’appelle ‘L’Escale’. Spécialisé dans la musique Sud Américaine, Péruvienne et Bolivienne. Et, où à l’époque, se produisaient les ‘Guaranis’, des Péruviens. C’est d’ailleurs dans cet établissement où ensuite commencèrent et débutèrent, les célèbres ‘3 Machucambos’… Roumano un Italien, l’autre Julia et Raphaël.»
Interloqué par l’évocation de ce nom Lotus, à l’époque méconnu, Manou se lève et leur demande c’est quoi cette Lotus ?
« Devant ma curiosité qui les étonne, ils me disent : si tu veux la voir, viens demain Rue St Honoré, au ‘Bar Le Cristal’, voisin de la Boucherie Beltoise située au coin de la Rue St Roch.»
Manou poursuit :
« Donc je me fais pas prier. J’y suis bien trente minutes avant l’heure et quand mes trois lascars se pointent et devant mon impatience de découvrir la fameuse voiture, ils me disent ‘elle est juste devant la port’. En fait, il s’agissait de la Peugeot 203 tôlée de la Boucherie Beltoise ! »
Et il nous précise :
« Une fois monté a bord et piloté par Jean Pierre, j’ai pigé que le surnom de la bagnole ‘Lotus ‘ n’était pas usurpé.»
Entre-temps, Beltoise est parti pour la Guerre.
Retour trois ans plus tard de Jean Pierre qui rentre … vivant d’Algérie.
Manou reprend :
« Je l’ai revu et j’ai commencé à suivre sa carrière de pilote moto. Avant qu’il ne débute en compétition auto après un bref passage chez René Bonnet rapidement repris par Matra. Je le suivais et ai vécu toute son ascension et ses premiers succès en F3 puis en F2. Jusqu’à son accession aux Gd. Prix et à la F1. Et bien sûr, les inoubliables années Le Mans.»
Parallèlement, Manou avait entamé sa vie d’homme :
« Moi, je commence alors une petite carrière de photographe, grâce à la rencontre de Daniel Paris, un photographe pour la toute jeune Agence DPPI, créée par Rémy Thibaut puis développér par son fils, Jean Pierre.»
De nos jours, l’Agence DPPI existe toujours. Elle a été reprise, il y a peu, par l’Homme d’Affaires, Jacques Nicolet. Le Propriétaire de l’Écurie de Course OAK Racing.
À l’origine DPPI signifiait : Daniel Paris Publi-Inter.
Devenu ensuite : Diffusion Photo Presse Internationale.
Manou, nous précise :
« En fait, j’ai rencontre Daniel à Magny-cours, le 1er mai 1966 dans le 5ème virage, celui qui précédait la ligne des stands et ce jour là, Jacques Bernusset, un pilote Belge, s’est tué lors de la course F3, devant nous. L’infortuné, le malheureux, il a tapé le seul arbre !»
Il poursuit :
C’est là que Daniel s’approche et me lance : ‘ Toi mon ptit gars, tu me plais bien. Déjà la semaine dernière je t’ai croisé au Mans sur les fascines du Tertre Rouge. T’es toujours là. Et voilà ma carte, viens me voir lundi, à Paris, Avenue Paul Adam, près de la Place Pereire.
Manou, enchaîne :
Je rencontre Jean Pierre Thibaut qui lui était plutôt branché Sport Auto et ce grâce à l’amitié qui le liait aux Frères Henri et Maxence, père du futur brillant pilote, Bertrand à l’instar de son oncle Henri.
Manou explique :
C’est très certainement qui a orienté ensuite la tendance sportive de la DPPI, de l’Événementiel vers les Sports Mécaniques et naturellement vers la course.
Donc Manou est recruté et embauché
Il se souvient :
« Mon tout 1er reportage je l’ai fait en Belgique, à Zolder pour une course de F2 en 1966. J’y suis allé en train jusqu’à Bruxelles. Puis ensuite, j’ai fait du stop. J’avais emporté 4 films noir et 2 couleur.»
Une fois arrivé sur le Circuit Limbourgeois, Manou retrouve son pote Beltoise.
Il nous raconte :
« JPB roulait en F2 avec Jochen Rindt. J’ai ramené de superbes docs dont une photo d’une Alfa GTA pilotée par Jochen dans une course secondaire dans le double droite de Zolder en glissade et dont Jean Thieffry, Avocat et Propriétaire du Magazine ‘Virage Auto’, a pris un tirage pour la couverture du numéro suivant.»
Manou ne peut oublier ce 1er déplacement professionnel :
« Cela a été ma toute 1ére parution dans la presse auto. À la DPPI, j’étais salarié avec un salaire correct. Rapidement, tous mes frais de déplacements ont été payés. Mais du coup, Daniel Paris a décidé de quitter DPPI. Il estimait qu’on ne pouvait pas être deux. Il jugeait que ce n’était pas possible. Il est vrai que j’étais plus accessible pour Jean Pierre Thibaut.»
C’est à ce moment-là que DPPI a changé son appellation, fin 1966. Passant de, Daniel Paris Publi Inter, à Diffusion Photo Presse Internationale..
Manou nous confie :
« Ma carrière était lancée et grâce à mon amitié avec Jean Pierre Beltoise, lequel m’a ouvert toutes les portes.»
En ce temps-là en France, JPB qui gagnait sur tous les circuits, avec la naissante Écurie Matra, était une CATHÉDRALE !
Probablement l’un des rares sportifs Français, extrêmement populaire et mondialement connu, à l’instar de Jacques Anquetil, Michel Jazy, Jean Claude Killy ou Raymond Kopa.
Manou, se rappelle de ses premiers appareils photo :
« Pour l’anecdote, mes premières photos furent réalisées avec des Pentax, achetés par Madame Simone Beltoise, au Japon, car elle adorait voyager en dehors des compétitions et le Gd. Prix du Japon n’existait pas encore (le tout 1er fut organisé le dimanche 24 octobre 1976 sur le Circuit du Mont Fuji). En réalité elle les ramenait pour Jean Pierre, qui sa carrière prenant de plus en plus d’importance, n’avait plus le temps de s’amuser à faire de la photo et du coup, il me les donnait.»
Manou nous évoque alors un drame, dont il fut l’un des tous premiers averti et qui touchait son ami Jean Pierre.
« En avril 1966, pendant les essais du Mans avec les Matra à moteur BRM, un type s’approche de moi dans le stand Matra et m’interpelle : C’est vous Jean Pierre Beltoise ? Je lui réponds : Non, c’est le gars la dans sa voiture. Et il me lance : parce que sa femme vient de se tuer sur l’Autoroute du Sud, après Arcueil, dans la montée. Elle s’est prise un poteau téléphonique avec sa Matra Djet ! »
Manou nous lâche :
« Ce fut un choc horrible. Je me suis approche de JP en lui indiquant, il y a un type qui souhaite te parler. Je n’osais moi-même lui annoncer la mort d’Éliane.»
Il nous confie :
« Ce fut pour moi, le début d’une longue série de disparitions car malgré le décès de nos amis pilotes, JP a ensuite perdu son frère Jean Claude, peu de temps après, à la suite d’un nouvel accident survenu à La Baule avec sa Simca 1000.»
Naturellement Jean Pierre a précipitamment quitté le Circuit du Mans et est rentré immédiatement vers Montlhéry et la maison de La Vallée, à St. Vrain.
Mais revenons à la photo :
« Ma carrière était lancée, étroitement liée au succès de DPPI. Ce qui m’a valu le plaisir partagé avec Jean Pierre Thibaut d’embaucher successivement Thierry Bovy, Patrick Grandperret et Éric Vargiolu.»
Changement de cap en 1978.
« Effectivement, je décide de quitter DPPI car les reportages ayant un côté répétitif chaque année avec les mêmes reportages sur chaque GP, j’ai alors rejoint l’équipe de François Guiter chez ELF avec François Tainturier. J’ai alors vécu toute l’aventure des pilotes ELF (Prost –Pironi – Depailler – Arnoux – Jabouille – Jarier- Tambay – Laffite) et des écuries Françaises comme Renault et Ligier.»
Des années exceptionnelles. Des moments inoubliables :
« Et ce jusqu’en 1996. Date où Bernie Ecclestone, n’ayant plus la pression de Guiter parti en retraite – un homme incontournable, respecté et écouté – sur les épaules, m’a gentiment dégagé de la F1, car profitant de mon absence de Carte de Presse, dû essentiellement à mon attachement à ELF, m’a alors éconduit et interdit de l’indispensable sésame, le fameux Pass Presse FIA.»
Ayant débuté et avec succès dans la sculpture 11 ans auparavant et par pure passion, Manou Zurini, décide de s’y consacrer à 100%.
« Mon travail de sculpteur a toujours été dicté par l’attrait des automobiles et de la locomotion.»
Manou réfléchit et nous indique avec une grande précision :
« Ma toute 1ére réalisation ? Je l’ai conçu sur une table dans un appartement, à côté du Trocadéro, Avenue Kléber à Paris. Nous étions au printemps-été 1975. Ma 1ére œuvre était une automobile en bronze, type année 30. Qu’Hervé Poulain, le célèbre Commissaire-Priseur-Pilote, s’est empressé de vendre en octobre 1975, lors des la dernière vente de l’ancien Drouot. L’acquéreur, a eu à l’époque la maladresse de dire au Commissaire Priseur, que cette oeuvre l’intéressait ! Résultat ? L’indéniable talent de vendeur de Poulain a fait le reste le dimanche, en adjugeant et octroyant l’œuvre à l’homme d’affaires, Michel Seydoux pour 4.000 Francs, équivalent à 6.000 € d’aujourd’hui. Ce fut une grosse surprise car même si j’étais déjà connu et reconnu comme photographe de F1 ma carrière de sculpteur n’en était qu’à ses balbutiements. D’ailleurs, j’ai le souvenir d’une phrase d’Hervé après la vente : ‘ C’est incroyable, il y a des sculptures de César que je vends pas ce prix là ‘ Inutile de dire que ce fut un encouragement énorme pour continuer et poursuivre dans cette voie.»
Il est évident que sa notoriété de photographe l’a bien servi, à l’exemple d’un acteur qui devient chanteur-…
« Depuis cette histoire, je me consacre à fond à ma seconde passion. A ce jour, 27 juin 2013, j’en suis a 260 créations différentes dont une bonne centaine réservée aux différents Trophées automobiles que l’on me commande régulièrement annuellement. Ma clientèle tourne et est partagée, entre les collectionneurs par définition aisés, certains pilotes dont la famille Beltoise, Sir Jacky Stewart, Jacky Ickx et les multiples personnalités du Monde de l’Auto, comme Edsel Ford, Ferdinand Piech et des clients prestigieux comme le Roi Mohamed VI du Maroc, l’Émir de Bahreïn, les Princes Rainier et Albert de Monaco.»
Mais, à propos combien coûte aujourd’hui en 2013, une oeuvre de l’artiste Manou Zurini ?
« Une œuvre coûte dans la Galerie VITESSE d’Isabelle Nicolosi, Rue de Berri à Paris ou à la Galerie ESTAMPE MODERNE chez Emmanuel Lopez, Rue Choron dans le 9ème, toutes deux spécialisées dans l’Art Automobile, entre 5.000 et 35.000 €.»
Mais, on trouve aussi ses sculptures aussi en Angleterre, dans une très belle Galerie dénommée ‘PULMANN GALLERY’, au cœur de Londres, du côté du très chic et très cosy Hyde Park. Et, aussi a Marbella dans une boutique qui se nomme ART WANSON GALLERY, chers à Mercedes et François Duerrinckx.
Venons-en, enfin, à sa vision de la Course moderne.
Avec 450 GP au compteur, Manou jouit d’un certain recul pour analyser ce qu’est devenu la Compétition.
À propos que pense t-il de la F1 moderne ?
« L’escalade des moyens mis à la disposition des écuries fait que l’aéro par l’intermédiaire du travail en soufflerie extrêmement onéreux a fini par aboutir à des formes de carrosseries de monoplaces ridiculement compliquées dont seules les équipes de pointes peuvent s’offrir. Il en résulte d’ailleurs des formes à l’inverse de l’esthétique qui m’est si cher, tout en offrant un spectacle lamentable de champs de débris de carbone, lors d’un départ sur deux. C’est hallucinant.»
Et Manou de se montrer très circonspect :
« Un autre aspect désastreux, le nombre d’arrêts aux stands pendant un GP qui fait que les spectateurs dans les tribunes ou les téléspectateurs, ont beaucoup de mal, à s’y retrouver, tout comme les commentateurs. Devant le cafouillage du choix des pneus et le nombre de stops en résultant, le spectacle a perdu toute son essence. Pour le petit nombre de personnes qui veulent assister a ces changements de gommes, il y a les épreuves d’Endurance comme les ’24 Heures du Mans’. La F1 est aujourd’hui totalement dénaturée. Et je ne vois pas comment une personne lambda peut aller commander le lundi matin des Pirelli qui durent 15 tours quand tout va bien.»
Il conclut :
« Maintenant que les risques d’incendie sur une monoplace ont disparu à 99%, il est urgent que les GP retrouvent tout leur lustre d’antan, avec 22 ou 24 autos au départ et ce en emportant 160 litres d’essence et 4 pneumatiques suffisamment endurants pour parcourir 300 km !»
Et de nous expliquer mais nous sommes 100% d’accord sur toutes ces bonnes paroles pleines de bon sens :
« Dans ces conditions, toutes les stratégies qui faussent complètement le véritable esprit sportif disparaîtront et seuls les meilleurs pilotes sauront parcourir ces distances, jusqu’aux drapeaux à damiers, comme le firent des décennies durant, leur prestigieux prédécesseurs. Je n’ai pas l’impression de faire preuve de passéisme mais malheureusement au détriment de la F1, les courses les plus intéressantes que l’on peut suivre sur les chaines TV, sont dans l’ordre pour moi, le Championnat de tourisme V8 Superstar Australien, ainsi que les courses Américaines du NASCAR et en Europe, la plupart des courses monotypes, comme les World Series Renault. En F1, hélas, l’esprit a totalement disparu, même si le spectacle lors de certaines courses demeure. Mais c’est extrêmement rare...»
Gilles GAIGNAULT
Photos :
Manou ZURINI–Gilles VITRY-AutoNewsInfo