Nous allons clore notre série « hivernage – endurance » par une visite dans le Team moto, le plus titré qui soit, puisqu’il faut au minimum … 5 feuillets complets pour résumer l’exceptionnel palmarès, établi par le SUZUKI ENDURANVCE RACING TEAM (SERT) entre 1980 et aujourd’hui !
Qu’on en juge !
… 11 titres de Champion du monde, deux fois vainqueur des Masters d’endurance et une fois de la Coupe du monde, le SERT a également gagné pas moins de… 15 Bol d’Or et 7 fois les 24 heures du Mans, obtenu des victoires ou des podiums dans toutes les courses du Mugello à Donington, du Nurburgring à Spa , de Suzuka à Doha, d’Albacete à Assen, de Vallelunga au Mans ou bien encore, de Magny cours à Oschersleben.
Quand on arrive dans les bureaux de l’écurie qui se trouvent, à quelques centaines de mètres du circuit Bugatti au Mans, on est quasiment entouré de Trophées dans des vitrines, sur des étagères et l’on voyage dans le temps comme sur la carte du monde, en lisant les plaques mentionnant la course, le lieu, l’année. Par ailleurs, une collection absolument formidable ajoute au mythe d’un Team de légende.
Il s’agit des motos qui ont remporté ces titres.
COLLECTION DES SUZUKI DU SERT
Sagement rangées par année de course, alignées comme pour la parade toutes ces Suzuki retracent une évolution technique considérable. La vitrine est magnifique et toutes les machines semblent prêtes à repartir à l’assaut de la gloire.
Le SERT aurait-t-il vocation à être champion du monde ? Le SERT est-il un faiseur de champions ? C’est un peu la double question que l’on peut se poser.
La réponse nous sera apportée par tout le staff du SERT avec à leur tête, notre ami Dominique MELIAND. Dans des temps anciens, alors que j’occupais la fonction de team manager pour les écuries Cassegrain puis, Pipart, nous avons œuvré de concert pour notre regretté Jean Bernard PEYRE : pilote et metteur au point hors pair. Dominique était alors son mécanicien attitré et fidèle.
Complicité Meliand Peyre
Ceci étant dit, il semble bien normal qu’une grande connivence nous unisse encore et de fait, cette rencontre revêt un petit côté affectif que nous ne souhaitons pas gommer.
HISTORIQUE ET STRUCTURE
Le parcours de Dominique MELIAND est peu ordinaire. Rien ne le destinait à devenir le pape de l’endurance moto, le sorcier d’un team au palmarès incroyable, la référence écoutée par les instances fédérales, le manager exigeant avec lequel tout pilote rêve de courir, le stratège rusé dont les autres teams redoutent les astuces et le chouchou du public avec lequel il communique en toute simplicité.
Dominique MELIAND a connu une autre vie avant le SERT, et pourtant la moto déjà tenait une part originale dans sa vie professionnelle. Entré en 1965 comme agent technique au Gaz de France, notre ami est déjà chatouillé par le virus moto et s’inscrit en 1968 à la première école de pilotage du genre au circuit Bugatti. En 1969, il dispute sa première course d’endurance, les 1000 kilomètres du Mans sur BSA. Ensuite il poursuivra sur des TRIUMPH, avec des cadres DRESDA ou EGLI et avoue « s’être bien amusé y compris en course de côte, mais n’avoir pas un grand talent ».
Belle pièce de collection
En creusant un peu la question, il est pourtant facile de déduire que notre pilote savait bien manier la poignée de gaz, sinon pourquoi voudriez-vous que le patron de TRIUMPH (Norman HYDE), propose à Dominique de devenir pilote essayeur ? Offre qu’il décline, ce qui ne l’empêche pas d’obtenir (suite à une exposition médiatique télévisuelle remarquée lors d’un Bol d’or à Montlhéry), un statut particulier de sportif de haut niveau. Grâce aux possibilités offertes par cette position, notre gazier peut gérer son temps de travail de manière souple et ainsi, dégager des disponibilités pour se rendre sur des courses.
1974, marque le début de la collaboration de Dominique MELIAND avec Jean-Bernard PEYRE. Celui-ci a monté son écurie avec un cadre technique de l’importateur KAWASAKI : Albert JUDENNE et Dominique, qui pense être meilleur mécanicien que pilote et « complète » ses journées de travail par des soirées studieuses de mécanique dans l’atelier du copain Jean Bernard, à Jouy en Josas.
Le rythme est immuable : 7h-17h travail comme salarié Gaz de France ; 18h-1h30 du matin mécanique, ensuite petite omelette à la brasserie versaillaise qui ferme à 2 h et selon le calendrier, déplacements le week-end pour l’assistance course.
Quand en 1976 avec Jean Jacques CASSEGRAIN concessionnaire KAWASAKI à Orléans nous décidons de déléguer la préparation des machines d’endurance à Jean- Bernard PEYRE, je découvre et apprécie les dons de mécanicien et la puissance de travail de Dominique. Un jour, il nous bluffe tous, lorsque détectant une faiblesse d’un joint de culasse, il procède à son changement en moins de 50 minutes. Nous nous côtoyons donc et partageons de belles aventures avec un tandem PEYRE-MAINGRET fort attachant.
Et puis fin 1979 la saga avec KAWASAKI-PIPART prend fin.
Au Bol d’Or 1978
Les Établissements BONNET ont repéré les qualités de pilote et de préparateur de J.B PEYRE et une offre de monter une saison de course avec la SUZUKI GS 1000 R lui est faite. Dominique sera de la partie bien entendu. Deux mécaniciens, dont on verra ensuite une belle évolution dans le monde de la compétition, prêtent également main forte, il s’agit de Bernard MARTIGNAC et Jean-Marc BONNAY, alias « Snoopy ».Les choses se mettent en place de la meilleure des façons puisque la toute nouvelle équipe PEYRE-SAMIN gagne en Autriche, collectionne les belles places et se trouve ainsi en tête du championnat du monde.
Le 25 aout 1980, Jean- Bernard se tue sur la route. C’est le néant. Pour ma part, trop marqué par les pertes successives de Patrick PONS et de Jean- Bernard PEYRE, je renonce à poursuivre mes activités de manager. Dominique est sollicité par les parents de Jean- Bernard pour faire rouler la machine qui était prévue pour le Bol d’Or.
C’est là en fait que le SERT va prendre naissance et déjà « le chef » -que devient Dominique par la force des choses-, sort de sa manche un atout maître. Non seulement en mémoire de son pote NONO il fera courir la machine qui lui était destinée, mais pour faire bonne mesure , il engagera une seconde moto.
Coup de génie ou justice immanente rendue aux qualités du cher disparu, les deux SUZUKI terminent en tête du Bol d’Or. Il faut dire que malgré l’enjeu et le chagrin mêlés, lors de cette course en mémoire du regretté Jean-Bernard, le responsable d’écurie que Dominique MELIAND réussit un coup de bluff mémorable.
Écoutons ce récit :
« La pluie menaçait, quelques gouttes tombaient, nous devions ravitailler, Vilaseca (manager Japauto) devait faire de même. Je demandais de sortir les slicks mais de préparer les pluies, que nous ne sortons qu’au dernier moment. Villaseca se calant sur nous, repart en slicks, nous en pluie (le pilote au guidon n’est autre que le père de Randy DE PUNIET, bon sang ne saurait mentir !)…Une bonne sauce dégringole, nous sommes devant et je n’oublierai jamais le regard noir, furibard que le coach, voisin de stand, me lança dès qu’il comprit la manœuvre. »
Doublé au Bol d’Or 1980
Bien évidemment un tel doublé SUZUKI au Bol d’Or ne laisse pas l’usine indifférente et Monsieur ITOH, le patron du service compétition propose à Dominique MELIAND de prendre les rênes d’un team officiel d’endurance. Nous sommes à la fin du mois de septembre 1980. Dominique se donne un mois de réflexion. La décision est prise, une SARL est constituée entre Dominique et son frère Jean-Eudes. Christian LEON ,l’autre ami, le voisin de palier de Dominique, sera de la partie, il teste même déjà la nouvelle machine au Japon sur le circuit privé de Suzuki, lorsqu’il se tue en novembre. Il aurait du faire équipe avec Hervé MOINEAU transfuge de HONDA .
On doit bien avouer qu’il fallait une force mentale à toute épreuve pour rebondir après ces deux disparitions de ces deux amis. C’est sans doute dans ce désir d’honorer la mémoire de ces grands champions que Dominique, le manager du SERT puise énergie, force et détermination. Mais pour bien le connaître, il faut dire que l’homme est secret et n’étale pas ses sentiments. Entre nous la mémoire de Jean Bernard est toujours lumineuse et nous n’avons pas besoin de parler pour savoir ce que nous ressentons à chaque victoire , nous les anciens de la bande à Nono(Michel PICARD, Yves BARBE, Dominique et moi), victoire que nous lui dédions toujours.
Le SERT est donc né à l’aube de la saison 1981.
Le team s’installe dans des locaux loués à Versailles. Rapidement il est envisagé de se rapprocher d’un circuit .Le côté pratique du Mans recueille l’assentiment des membres de l’équipe et c’est l’arrivée en 1985 dans des locaux en location du côté du camping du Houx. Des transactions difficiles sont ensuite engagées pour construire une structure. On voudrait installer le SERT au Technoparc qui n’existe pas encore et l’on rechigne à accorder un permis de construire pour l’avenue Falconnet. Enfin, en 1990 le SERT s’installe dans ses propres locaux tout près de l’entrée principale du circuit Bugatti.
Moteurs de gloire
Sur 2000 m2, les locaux de l’atelier, comme on dit ici, couvrent 750 m2. Une partie bureaux/locaux collectifs est bien distincte et isolée de la zone technique que nous détaillerons plus avant. Quant à la structure elle-même, il convient de la présenter dans toute son originalité.
Sans doute dans l’esprit de sa collaboration avec Jean-Bernard PEYRE, « le chef », homme de fidélité et d’engagement a su favoriser pour sa propre écurie, un état esprit collectif, familial, rigoureux et très professionnel avec de fervents passionnés.
Ainsi, l’on retrouve en plus des pilotes, trois catégories de personnels bien distinctes.
En premier lieu les salariés permanents, puis les intérimaires et la grande force du team : les bénévoles que j’ai pour habitude de nommer les grognards de l’empire du SERT, tant ils ont blanchi sous le harnois tout en demeurant hyper motivés et performants quelque soient les circonstances de course.
A 65 ans Dominique, peut bénéficier d’une retraite méritée mais on verra qu’il est cette année obligé de pallier en partie le départ d’un salarié ce qui lui fait dire « qu’il bosse vraiment .»
Dany, sa belle sœur a en charge la gestion globale du team et supervise, sur les courses, les questions d’intendance.
3 mécaniciens à temps plein se répartissent la charge de travail : préparation, développement, montage, exploitation. Jean Paul VOISIN (dit P’tit Paulo ,30 ans de maison) et Pascal CADIOU (25 ans de maison) traitent des questions de châssis et du montage, alors que Jean Paul BOISGONTIER (dit Grand Paulo,29 ans de maison), travaille toutes les questions inhérentes au moteur.
Pause café a l’atelier au SERT
Rémi VULLIET, technicien chargé des questions électriques, électroniques et informatiques a depuis peu rejoint Dunlop pour travailler sur les acquisitions de données des essais automobiles. Même s’il sera présent encore sur les courses avec le SERT, ce départ pose un sérieux problème au boss qui se reposait un peu aussi sur ce jeune homme, -maitrisant parfaitement l’anglais-, pour les questions de relations fournisseurs et planifications logistiques ou autres. Un besoin en recrutement est ressenti, mais si Rémi a été quasiment formé au SERT, l’arrivée d’un nouveau membre nécessitera « une acclimatation toujours délicate à réussir quand les enjeux de la course commandent, dès que la saison est lancée ».
Les intérimaires sont essentiellement : le kiné et le cuisinier, présents lors des courses ou des essais parfois. Le bénévoles -une bonne quinzaine de fidèles- sont toujours affectés aux mêmes tâches (gestion pneumatiques, ravitaillement essence, gestion consommation, approvisionnement, aménagement et rangement stand, accueil et service réceptif, chronométrage manuel et chronométrage électronique…)
BILAN SUCCINCT 2011
Après avoir évoqué, toujours avec u brin d’émotion, des événements qui nous ont réunis, et avant de revenir au quotidien actuel du SERT, il faut retracer à grands traits la saison passé
Dominique Meliand
Dominique MELIAND très en verve ne se fait pas prier :
« Le bilan est toujours succinct car on n’a pas des saisons qui font 20 courses,. Le bilan est vite fait, mais ça n’est pas parce qu’on a très peu de courses que ça reste un bilan facile à obtenir . On a commencé notre saison 2011 fabuleusement, puisqu’on a mis tout le monde d’accord au Bol d’Or et d’une façon grandiose. On savait que compte tenu de la concurrence ça n’allait pas être très facile : BMW avait les dents longues , KAWASKI arrivait avec un nouveau modèle , YAMAHA préludait ses nouvelles machines et nous, nous n’avions pas une mauvaise moto, mais une moto qui avait besoin de ce petit coup de jeunesse donné par l’électronique et ça, on ne l’avait pas. On avait besoin de s’étalonner en début de saison par rapport à la concurrence et ce fut parfait. Malheureusement, la suite de notre saison a été un peu plus compliquée, puisque nous avons raté notre course à ALBACETE. Tout le monde y a mis son petit grain de sable pour que ça ne passe pas comme il faut : le team , les pilotes…et tout ça, a fait qu’on n’était pas en tète du classement à l’arrivée et que ça nous a beaucoup pénalisés pour la suite des événements. Tout le monde le sait un championnat du monde se gagne en additionnant les points de chaque manche or à Albacete entre un pilote qui a oublié de s’arrêter et un autre qui a emmené tout le monde dans le stand voisin , entre les phares qui se sont malencontreusement allumés au moment où on mettait l’essence et ça nous a valu un stop and go et Dieu sait si cela est pénalisant, et pour rattraper tout le retard Vincent (Philippe) qui a mis les bouchées doubles et hop une sortie de route … enfin on a quand même obtenu une place nous évitant de faire chou blanc. Après, à SUZUKA on n’était pas si mal que ça, on frisait la quatrième place en bagarre avec la BMW, avec espoir de venir la chatouiller si nous n’avions pas eu à la fin de la course un souci d’électronique, vite réparé par Grand Paul, mais avec à l’arrivée seulement une neuvième place.
2011 Suzuka
Ensuite, il fallait que les choses se déroulent bien …
On est arrivé aux 24 heures Mans et là grand coup de Trafalgar. En effet le mardi des essais je perdais deux pilotes. L’un déclarant forfait n’étant pas remis de certaines chutes de la saison. Donc le matin boum un coup derrière la tête et le mardi à midi, grosse chute de Vincent qui reste sur le tapis et ne peut pas faire la course… Le mardi midi : moins deux pilotes ; le mardi soir : moins une moto puisque mon japonais coupait la moto en deux ! Mais coup de chance il ne se cassait pas ! Situation compliquée ! En Angleterre et en Allemagne aucun pilote disponible pour ne cause de championnat. Au Japon, j’avais des pilotes, mais aucun avion pour m’amener un pilote en temps et en heure pour les vérifications administratives et techniques. Je me suis retrouvé dans l’obligation de piocher un pilote au Junior Team Baptiste GUITTET qui s’en est super bien sorti, mais il me manquait mon atout principal ( Vincent Philippe) , donc on a limité les dégâts. On fait une très belle place (2 ème) mais ce n’est pas la meilleure place. Donc nous avions au championnat un petit handicap de points à résoudre lors de la dernière course de la saison à DOHA. Là c’est vrai qu’on a joué un peu un va tout. J’avais récupéré mes pilotes et là en gros il fallait se lancer dans la bagarre pour faire que les concurrents – qui nous embêtaient beaucoup- se laissent emmener vers des erreurs possibles. C’est ce qui s’est passé. Vincent a fait un début de course éclatant, il est parti bille en tête alors que tout le monde nous voyait un peu sur les genoux
Vincent Philippe au Qatar
Là, on a occasionné une bagarre , un bagarre un peu brutale, qui a amené les deux motos qui nous gênaient le plus, à aller voir le tapis. Après, bien sûr on a eu à gérer la fin de course pour que notre position à la fin de cette course soit suffisante pour être champion du monde 2011. »
Comme on le voit la suprématie du SERT n’est pas seulement technique mais elle tient beaucoup aux stratégies de course toujours élaborées avec une maîtrise et une lucidité impressionnantes alors après ce nouveau titre de champion du monde ( le onzième) qu’est ce qui fera courir le SERT en 2012 ?
ORIENTATIONS ET OBJECTIFS 2012
« Chez nous tu le sais bien, orientations et objectifs c’est toujours très simple : on ne participe pas aux courses, on vient les gagner. Alors on va dire oh là là quel prétentieux, on va dire il a la tête grosse comme une pastèque. Non. Mon travail à moi, il est que je dois faire la meilleure moto du plateau, avoir les meilleurs pilotes. Avec cela je ne peux pas avoir d’autre objectif que celui de gagner Du moins ça c’est le prévisionnel , après, à nous staff technique de nous plier à la fois aux pilotes et aux conditions de la course et aux erreurs que l’on ne doit pas faire pour que justement on puisse rendre à César ce qui appartient à César, c’est-à-dire à Suzuki la victoire. »
SALLE DES TROPHÉES ET BOLS D’OR…
Possèdes-tu les atouts techniques pour gagner encore en 2012 ?
« Savoir si nous disposons des atouts techniques… on en reparle en fin de saison. En compétition il n’y pas de Madame Soleil, il y a des gens qui travaillent avec du matériel.
Notre matériel 2012, sur le papier, c’est peut être vrai que c’est une moto, de transition. En fait les motos, sont toutes de transition d’une année sur l’autre quelque soient les marques ! Oh certes on n’a pas forcément la machine qui a le plus de puissance , l’électronique la plus poussée… tout ça restera à prouver et on verra à la fin de la saison, le team qui aura su tirer parti du maximum de sa moto. »
Alors le système « traction control » sera-t-il installé sur la moto 2012 ?
« Pas en début de saison. On va essayer de développer un système, si ça fonctionne on verra pour l’installer en cours de saison. Moi je veux quelque chose qui fonctionne , pas un truc qui fait un kilo de plus sur la moto et un bouton en plus qui ne vous donne rien en position ON ou en position OFF. Si l’on finalise ce qui me satisfait ( si le chrono descend) et qui satisfait les pilotes ( si ça leur amène une sécurité en plus) , alors là d’accord, on va l’adopter. Or pour l’instant, ça débloque ! »
Il est comme ça le Dominique carré et pragmatique, tout entier tourné vers l’efficacité. Ses analyses de situation sont un régal. Il vise juste, n’a pas la langue dans sa poche et conserve son enthousiasme de jeune homme passionné. C’est donc un plaisir de dérouler notre questionnaire à propos du calendrier notamment.
CALENDRIER
14 et 15 avril 2012 : France, Bol d’Or
10 Juin 2012 : Espagne, 8H d’Albacete
29 Juillet 2012 : Japon, 8H de Suzuka
12 Aout 2012 : Allemagne, 8 H d’Oschersleben
08 et 09 Septembre 2012 France, 24H du Mans
« Si l’on parle de calendrier on sait que depuis l’année dernière il y a eu une inversion de dates entre le Bol d’Or et les 24 heures du Mans, inversion que l’on retrouve cette saison. Bien ? Pas bien ? Les avis divergent. Pour ma part, je préférerai les 24 h en ouverture de saison pour des raisons techniques, disons de facilité pour nous. Pour les pilotes, une mise en jambes c’est plus facile de la faire au Mans que sur le circuit de Magny-Cours qui est beaucoup plus fatigant et exigeant. A part cette restriction , j’ai un calendrier qui nous plairait un peu mieux cette année puisqu’on retrouve DOHA au milieu de la saison au lieu de mi – novembre qui allonge la saison et nous bloque justement pour l’arrière saison. Donc un calendrier pas si mal que cela cette année, même si nous sommes plusieurs à avoir souhaité une épreuve de plus qui aurait étoffé le championnat. Voilà mon seul regret, il nous manque une épreuve. »
On avait parlé de l’Angleterre ?
« Dans les années 85-90 l’Angleterre était partie prenante de l’Endurance, ensuite il y a une coupure , puis depuis 2004, chaque année l’Angleterre inscrit une épreuve au calendrier puis … se retire on ne peut plus trop compter sur l’Angleterre… On pourrait mettre des courses comme en Chine, moi je serai d’accord de retourner en Chine. Après se pose la question de la prise en charge pour les équipes privées (la majeure partie du plateau). Il faudrait trouver des aides et cette décision ne peut être que politique. »
ON FAIT QUOI EN HIVER ?
Organisation générale
Comme le souligne Dominique MELIAND « avec une fin de saison de courses au 15 novembre, et le temps nécessaire pour faire un peu souffler les gars et pour remettre le matériel en état , le 15 décembre est tout de suite arrivé . A cette date, alors tout est en stand by pour ce qui concerne l’établissement d’un projet, d’un programme et d’un budget.
P Cadiou
Malgré tout, le SERT est une machine tellement bien huilée que chacun est capable d’organiser son travail en fonction des impératifs du moment et des obligations de la saison à venir.
On le voit bien le vrai problème de cet hiver 2011/2012 est la difficulté énorme que le SERT éprouve pour trouver le financement de la saison. Alors que nous reviendrons sur cet aspect budget, il ne faut pas penser que l’on est resté les bras croisés. Les 3 mécaniciens savent vers quoi il faut tendre et chacun dans son domaine de compétence, travaille avec toujours le souci du détail, de l’efficacité, de la performance et de la compétitivité de la machine qu’ils devront aligner au départ du Bol d’or le 14 avril.
Préparation logistique
L’absence de Rémi oblige le chef à se pencher sur les questions de transport, de réservation de chambres, à gérer les pass ,les parkings … mais c’est P’tit Paulo qui jongle avec les transporteurs pour les liaisons techniques et envois de pièces avec SHOWA en Belgique et avec l’usine SUZUKI du Japon. Comment il dit simplement « on fait attention aux coûts, mais aussi aux délais car on court toujours un peu avec le temps. »
Budget
Sans provocation aucune mais avec une franchise de bon aloi, Dominique annonce d’entrée de jeu :
« Si on n’avait pas eu le titre en 2011 il est certain que nous n’aurions pas couru en 2012. Pour autant, au jour d’aujourd’hui je n’ai pas de budget. François ETERLE directeur marketing à Suzuki France cherche encore à le réunir….
Pour les pilotes, je tiens à ce qu’ils aient leur contrat en direct avec SUZUKI. Mais pour le team, il faut bon an mal an 600 000 euros. Il faut dire que chez nous avec les anciennetés de nos mécaniciens, la masse salariale est importante, mais il faut savoir ce que l’on veut ! »
Atelier
L’atelier proprement dit est très vaste. Trois secteurs distincts accueillent : le montage des machines, le montage des moteurs et toute la partie usinage. De nombreuses alvéoles périphériques permettent le stockage et une zone est dévolue au banc moteur.
Atelier du SERT
Plusieurs ponts permettent de monter les machines et l’on trouve aussi bien les motos 2011 en cours de développement pour la saison à venir que des motos du Junior team ou une belle TRIUMPH (de la collection de Dominique) en cours de restauration.
A propos de l’atelier, Dominique Meliand nous indique sans forfanterie
« Tu sais on part d’une moto de série et ici on est capable de tout faire. Pour rationaliser les choses nous avons trois types de fabrication pourrait on dire : nos besoins en pièces d’usine, les pièces résultant de nos travaux de développement et qui nécessitent une haute précision et les bricoles : douilles, rondelles entretoises que l’on demande au Lycée Sud du Mans. A l’atelier toutes les pièces en mécano soudure et en tôle comme les supports, les boitiers…Les masters des réservoirs 24 litres sont faits sur place. Chaque fin de saison l’hiver se présente de la même façon, il faut vite penser à la moto suivante et cela constitue une somme de boulot très importante », poursuit le boss, laissant à P’tit Paulo le soin de nous préciser les choses.
Cadres
« Comme le modèle est nouveau mais avec beaucoup de pièces identiques, on n’a pas voulu tomber dans le piège de repartir avec des pièces qui pourraient être fragilisées par l’usage qu’on en a fait. Alors on a refait des pièces nouvelles pour repartir tout à neuf. On fait tout nous même : les araignées, les supports… »
Nous savons bien que les moteurs sont le domaine réservé de Grand Paul et qu’il n’est pas facile d’avoir des informations sur ce qu’il concocte avec une rigueur absolue mais dans la discrétion la plus totale. Nous tentons notre chance.
Grand Paul on fait quoi en hiver quand on est responsable moteurs ?
« On s’occupe de la formation des jeunes (du Junior Team auquel nous consacrerons un sujet), on prépare des moteur d’essais et on fait un peu de tri sur toutes les pièces de la saison précédente qui peuvent servir pour la saison à venir. »
JP Boisgontier
Le moteur 2012 ?
« On va partir sur l’évolution du GSX R 1000 qui s’appelle K9 et maintenant dénommé L2 et qui apporte quelques améliorations … »
Vous pouvez préciser puissance couple ….
« Non, non je ne parle pas de puissance mais de pièces. Alors nous avons des pistons plus légers, des arbres à cames différents et des carters moteurs légèrement différents aussi. »
Nous finirons par savoir que « des améliorations sensibles » ont été obtenues. Comme on sait par ailleurs que le montage des pots d’échappement YOSHIMURA va permettre en plus de gagner quelques chevaux et sans doute permettre d’accroitre le couple à certains régimes, nous avons hâte de mesurer les performances lors du prochain Bol d’or.( sans doute pas loin de 10 cv supplémentaires !)
Les Pilotes
Aujourd’hui, tu n’as toujours pas de troisième pilote, pourquoi?
« Oui effectivement si les choses sont bouclées avec Vincent PHILIPPE et Anthony DELHALLE et il manque un pilote. Le troisième larron de la saison 2011, mon japonais (SAKAI), voulait arrêter la course, ce qu’il a fait. Je me suis mis en chasse.. J’avais trouvé des gens de l’endurance, français ou pas et puis au fur et à mesure il y a eu des bâtons dans les roues. J’ai perdu l’un, j’ai perdu l’autre, ça s’est pas fait avec le troisième, le quatrième a changé d’idée et puis ce matin un dernier a déclaré forfait parce qu’il a remplacé un pilote à Daytona et que ses services ayant été appréciés il va courir là bas…Je repars à la chasse…J’aimerais trouver quelqu’un de haut niveau qui soit capable de rivaliser directement avec Vincent (PHILIPPE) et avoir une image… mais à cette période, je ne peux pas faire malgré tout le difficile. »
Un second enregistrement a été effectué le 23 mars sur ce même sujet des pilotes.
« Il se trouve que notre équipage va être au complet dès cet après midi avec les évidences comme Vincent PHIILIPPE et Anthony DELHALLE et puis Fabien FORET. On avait déjà envisagé de travailler ensemble et puis Fabien a eu cette opportunité en mondial en 600, ça avait un petit peu arrêté notre élan. Là on a reprit contact, il a pu trouver un arrangement avec son team, il va pouvoir participer au Bol d’or avec nous te j’en suis très heureux. Pour une saison ça me parait très difficile en raison d’une concordance de dates pour certaines épreuves. »
Vincent Philippe, Fabien Foret Antony Delhalle
Le manager avoue avoir d’autres fers au feu, parce que Vincent et Anthony ne veulent pas rouler à deux ! Il est donc bien décidé à tout faire pour que la saison soit parfaite à tout le moins qu’elle se déroule au mieux avec les trois atouts pilotes dans la manche.
Les essais
Le chef déclare d’entrée « ne jamais faire autant d’essais que l’on voudrait en raison des contrainte financières. » Pour mieux assurer la rentabilité des essais, ils sont en général prévus sur 2 jours ce qui en plus permet aussi de sécuriser l’opération si les conditions sont trop mauvaises. Cet hiver, le circuit de Mireval propriété de Goodyear maison mère de Dunlop, a été privilégié en raison des conditions avantageuses faites au SERT. Si 5 séances ont eu lieu, les essais envisagés en Espagne et à Nogaro ont été annulés par manque de budget. Il est pourtant important de pouvoir s‘étalonner sur des circuits de course ce qui a été le cas avec le Pré Bol.
Autre regard sur ces essais celui de Jean Paul Voisin qui s’interroge de savoir s’il y a vraiment un hiver.
JP Voisin
« Dès décembre on a attaqué les essais. Cette année on a fait beaucoup de développement avec YOSHIMURA (fourches, amortisseurs géométries) On a travaillé beaucoup pour améliorer la moto en châssis. On essaie de développer un nouveau changement de roue à l’avant pour gagner un petit peu de temps… »
ÉVALUATION PROSPECTIVE
Avec sa formidable expérience, Dominique commente pour motonewsinfo le plateau 2012 en ces termes :
« Tu l’as bien constaté en 2010 et 2011 on avait un plateau qui commençait à s’étoffer et avec des concurrents aux dents longues. Je pense qu’en 2012 elles seront encore plus acérées. Dans un plateau il faudrait discerner la partie technique(les motos) et la gestion d’une équipe de compétition. En endurance pour avoir des résultats c’est avoir une moto pas si mal que ça et avoir une équipe qui elle est au top. Si l’on a une très bonne équipe sans la moto ou une bonne moto sans l’équipe, on handicape beaucoup le résultat. Alors lançons-nous. Ce que je vais dire n’a rien de méchant. Prenons BMW qui a une très très bonne moto, au niveau de la puissance aussi, électroniquement elle est au top, peut être y a-t-il une question de fiabilité à surveiller sur les courses de 24 heures. Ensuite chez BMW : l’équipe. En gros une équipe remaniée depuis 2011 ; ça reste quand même un handicap si cette équipe n’est pas vraiment soudée … maintenant on fait parfois des miracles ,mais je ne sais pas si l’Endurance a besoin de miracles , elle a besoin de gens techniquement au top.
Dominique Meliand au bureau
Ensuite passons aux verts. KAWASAKI c’est plus embêtant, je trouve. Techniquement la moto elle aussi est quasiment au top, elle a déjà fait ses preuves la saison dernière. Elle va monter d’un cran et en 2012, ce sera une moto encore plus aboutie et pour la partie gestion de la course ce ne sont pas des gens qui débarquent. Ils sont dans la course depuis de très nombreuses années et l’endurance n’a plus trop de secrets pour eux. Pour moi c’est l’équipe qu’il va falloir cerner et l’équipe à battre quand même ! Ce qui me sauve un peu, c’est qu’ils ne sont pas engagés sur tout le championnat, mais j’aimerais bien quand même leur mettre une volée sur les deux grandes courses Le Mans, le Bol. On va devoir s’y employer. Et puis reste YAMAHA. Pour nous, la problématique de YAMAHA c’est qu’ils ont deux motos : une quasiment officielle (le YART) et une seconde moto tout aussi performante. En effet l’équipe de Christophe GUYOT évolue depuis très longtemps en endurance et la moto a encore évolué cette année… Après, pour YAMAHA à eux de gérer leur deux motos engagées. Cela n’est pas facile parce que ce sont deux équipes bien distinctes. Chacune a envie de gagner le championnat mais aussi de ne pas se laisser pas se laisser battre par sa concurrente directe de l’équipe sœur. Voila ce qui pourrait être pour eux un handicap et pour moi un bienfait et pourrait m’aider à gérer un petit peu tout ça….et à mettre les gens dans le bon ordre, sachant que dans le vrai ordre du classement, il doit y avoir la nôtre en tête ! »
Rien que ça, fermez le ban.
Oui, Dominique MELIAND quelque soit la situation dans laquelle il se trouve en tant que responsable d’écurie ne pense qu’à une chose : la victoire. On ne le changera pas, même dos au mur il invente des stratégies, abat un atout caché et il faut reconnaitre que sa motivation exceptionnelle en intensité et en longévité suscite admiration ou jalousie dans le monde de l’endurance.
Nous ne pouvons pas conclure ce sujet sans parler du mode de management du « chef ».
Par principe, pour ce qui concerne la technique les mécaniciens ont beaucoup d’autonomie. A eux de présenter plusieurs solutions pour des évolutions possibles et le boss qui délègue beaucoup, tranche sans trainer. Pour ce qui concerne les pilotes certains observateurs considèrent que Dominique MELIAND exige beaucoup de ses pilotes. Sur cette question Dominique est très clair. Les pilotes doivent se sentir bien dans le team. La machine qui leur est confiée doit être au top. Ensuite, à lui en tant que manager « de tirer le maximum des possibilités du pilote, sans aller trop loin sachant que la vitalité de tel ou tel varie selon les moments… »
La course, rien que la course compte pour le patron du SERT. Dès qu’il est question de chrono, de qualification et à fortiori de course, on voit notre Dominique arpenter le stand, les mains dans le dos tordant une pauvre touillette à café pour passer ses nerfs, puis se caler derrière les écrans .
Avec toutes les informations analysées avec ses fidèles acolytes, il échafaude des tactiques parfois osées ou surprenantes et pourtant régulièrement gagnantes. Il connait parfaitement l’état physique et psychique de chaque pilote et sait pouvoir compter sur une équipe ultra performante lors des ravitaillements.
Alors dans ces conditions, il joue sa partition de chef d’orchestre, galvanise les uns modère ou rassure les autres , mais n’hésite pas à raccourcir sans préavis le relais d’un pilote dont les temps s’éloignent trop de ceux escomptés.
La méthode a fait ses preuves, nous avons hâte de savoir si elle sera toujours aussi efficace en 2012. Nous n’en doutons pas.
Texte : Alain Monnot
Photo : Alain Monnot et Michel Picard
Moto 2011 évolution
Les ravitaillements un atout majeur
La victoire en famille