Discrètement, entre un supermarché et des demeures coquettes, à quelques mètres de l’ex-route nationale N°10 encore bien passante, une enseigne indique, sans fioriture sous une esquisse de voiture très épurée: Auto Classique Touraine.
Nous sommes à Veigné en Indre et Loire, à 1 kilomètre de ce qui a constitué en son temps, le bouchon célèbre et redouté de Montbazon.
Les bâtiments sobres et uniformément blancs ne préjugent aucunement des richesses que l’on va découvrir en franchissant une porte standard de cet atelier qui pourrait être de celui de n’importe quel carrossier.
Non, mais là attention, la visite ne va pas être banale. Patrick DELAGE qui nous accueille, est tout simplement l’arrière-petit-fils du prestigieux constructeur Français, Louis DELAGE.
Celui, qui au début des années 1900, après des études d’ingénieur des Arts et Métiers, ne rêvait que de voitures et de compétition.
Fort courtois et grand connaisseur de toutes les automobiles d’exception d’avant-guerre, Patrick DELAGE se montre très discret sur lui-même et son parcours dans l’industrie pharmaceutique, avant de devenir gérant d’Auto Classique Touraine.
Cette société fit suite en 1996, à l’ART (Atelier de Restauration de Touraine), dans des conditions particulières.
Le propriétaire actuel, qui souhaite garder le strict anonymat, avait commandé des travaux à l’ART et avait déjà versé beaucoup d’argent sans voir sa commande totalement exécutée.
Il décida, pour en finir, de reprendre la société et surtout, ce qui faisait sa force – au demeurant mal gérée à l’époque – c’est -à – dire, tout le personnel.
Les artisans aux doigts d’or
Aujourd’hui, notre interlocuteur Patrick DELAGE, le gérant, tient à débuter notre rencontre en passant en revue tous ces artisans d’art qui sont la richesse de l’entreprise et pour le renouvellement desquels, il nous déclare d’entrée de jeu :
’’ Du point de vue des personnels, c’est très compliqué car il n’y a plus de formations. Je suis un peu inquiet pour l’avenir car hormis une exception, on ne voit plus personne se présenter malgré no multiples annonces.. ‘’
Pour l’heure, malgré tout, il semble bien que cette structure dispose d’une sorte de « Dream Team », dont on nous détaille avec fierté la composition :
Serge BIROCHEAU, le chef d’atelier, est sellier
Richard JIMENEZ, mécanicien
Avelino DE FREITAS, peintre
Franck DAGUISIE, ébéniste
Daniel GERMAIN, Philippe MAKOVEC, Joël GONTHIER et le jeune et très prometteur Louis LAIR DE LA MOTTE, tous des tôliers.
Comme pour nous faire saliver et avant de parler des voitures, Monsieur DELAGE, nous parle ensuite des clients :
« Les clients, on ne sait pas toujours comment ils viennent…Ils sont plutôt étrangers. Australiens, Américains, Belges, Suisses et parfois, eh oui aussi, Français. Ce sont de grands collectionneurs, très connaisseurs et qui possèdent des véhicules de haut de gamme et d’exception. Parfois, on ne les voit jamais. Certains véhicules arrivent dans des containers et repartent de même ! Avec souvent des milliers d’heures de travail, à 55 Euros de l’heure, vous doutez bien que pour accepter les devis, ces clients ont certains moyens, ce qui fait que nous ne travaillons que sur des véhicules de prestige. »
Reconstituer à l’identique de A à Z
Des véhicules, parlons- en.
Nous en avons aperçu en cours de travaux de restauration et il semble intéressant que la démarche mise en œuvre dans cet atelier très haut de gamme, nous soit expliquée.
En effet tous les cas sont possibles. On peut tout aussi bien s’adresser à Classique Auto Touraine, pour refaire une peinture, une capote, une sellerie, une carrosserie, une voiture complète, à partir d’une quasi épave ou même recréer une voiture, à partir de photos.
Pour la peinture, depuis l’interdiction de l’utilisation des solvants il a fallu rechercher une solution adaptée à la technique « poly lustrée ».
La peinture à l’eau est maitrisée et nécessite cependant une maitrise parfaite de la montée en température en cabine.
Comme au préalable, il convient de démonter tout par le menu : caoutchoucs, poignées, ferrures… et parfois refaire à l’identique des pièces d’usure ou défaillantes ou manquantes, on ne s’étonnera pas que le prix d’une telle opération puisse atteindre celui, disons d’une voiture de haut de gamme de notre époque !
Dans les explications techniques qui nous sont fournies, hormis à propos de la sellerie dite « traditionnelle », on découvre que rien n’arrête la gageure d’aller au bout de la restauration ou de la recréation d’un modèle.
Une quasi épave, va retrouver tout son lustre sous les mains expertes des divers artisans-maison.
Chaque pièce vitale, chaque accessoire peut être, soit restauré, soit refait. Ici, on ne sous-traite rien, hormis je crois bien, le polissage, le chromage et les moteurs qui nécessitent de gros travaux comme des réalésages par exemple.
Nous tenterons prochainement à ce propos, de visiter pour vous, un spécialiste du reconditionnement de moteurs de véhicules de collection
L’exemple type qui nous est présenté ne peut que susciter respect et admiration.
Il s’agit d’une AUDI 1911, voiture de course historique qui a nécessité un travail tellement particulier que toute l’équipe, n’est pas certaine de rééditer un jour, ce véritable exploit !!!
Jugez-en plutôt.
L’exposé de la méthode devant un grand plan peut faire illusion. Effectivement, la description toutes les opérations peuvent faire croire que tout est simple et évident.
Voilà en gros, la recette :
Prenez donc un châssis – celui du véhicule ou un approchant- restaurez- le.
Pour la carrosserie, il ne vous est possible que de vous inspirer de photos, regroupez en, le plus grand nombre sous des angles différents de prise de vue.
Ensuite, travaillez les formes en fil de fer soudé. Si possible, vérifiez avec l’ergonomie du propriétaire quant à l’accessibilité et la visibilité, puis relevez les cotes de l’ensemble et tracez alors un plan à l’échelle 1.
Vérifiez encore…
Ainsi, pour l’Audi, l’ébéniste est allé au musée de la firme à Ingolstadt, s’assurer de certaines précisions… et il n’y a plus qu’à passer à lé réalisation.
Alors là, c’est un peu comme pour la gastronomie. A partir d’une même recette, les grands chefs trouvent toujours à se singulariser en ajoutant une patte qui fait la différence.
A Veigné, il en va de même. Pour les ailes, on fabrique des châssis en bois et « l’on tôle sur ces modèles ».
Les encadrements de pare-brise, les serrures, les mécanismes divers jusque y compris ceux faisant appel à des cinématiques complexes – pour des capotes par exemple – sont « ré imaginés » en cas de besoin et toujours fabriqués ou entièrement restaurés sur place.
Avec l’Audi, comme décidément tout était particulier et spécial, il a fallu franchir un nouvel obstacle, jusque –là, non connu.
Si la superbe caisse en bois de frêne – construite en double bordé- et présentant des formes tulipées, fort complexes à réaliser, fut maîtrisée sans problème par Franck, il fallut en raison d’une réglementation stricte faire faire l’entoilage en toile d’avion, par une société autorisée, la toile d’avion n’étant pas libre à la vente.
L’étape peinture sera, on n’en doute pas, des plus délicates car le ponçage, devra tenir compte d’un support éminemment fragile et inhabituel malgré tout pour Avellino DE FREITAS, le peintre-artiste maison
AUDI 1911
Une visite édifiante
Nanti des diverses explications concernant l’esprit même de la restauration automobile selon les canons d’Auto Classique de Touraine, nous parcourons l’atelier pour prendre des photos. Le calme règne.
Nous passons d’une TALBOT T 150, en préparation de peinture, à la spéciale HISPANO SUIZA, au moteur d’avion V8 de 11 litres, qui voisine avec un châssis du constructeur marseillais, Léon PAULET, seulement 3 exemplaires de ce modèle ont été construits, en attente de recevoir une carrosserie torpédo sport.
A l’étage, alors que le tour fonctionne discrètement, Louis, casque de protection sur les oreilles façonne inlassablement avec le tas et la batte, une aile superbement galbée.
A intervalles réguliers, sa main vient caresser la forme, en palper les déformations obtenues et comme pressentir celles qu’il convient d’apporter encore.
Le temps semble suspendu, le jeune homme, seule relève actuelle chez ces artisans d’art, est totalement habité par son travail et le gérant nous dit à son propos « voir en lui, un tôlier très prometteur ».
La visite se poursuit dans des ateliers annexes ou des remises, là, l’enchantement se poursuit.
On tutoie les sommets, en découvrant sous les bâches ou en cours de finition :
Une DELAHAYE 135 Figoni, un coupé PANHARD chauffeur, une BUGATTI 50, une BUGATTI roadster et bien entendu, la caisse de l’Audi, dernière prouesse en date de cette équipe décidément capable de relever tous les défis techniques.
Notre étonnement est grand d’apprendre que certains clients, ont financé des travaux conséquents mais ne sont pas venu chercher leur bijou, si bien qu’on manque de place…
Rien ne filtre sur l’identité des heureux propriétaires dont on se demande encore un peu plus après la visite, comment ils font appel à Auto Classique Touraine.
Sachant que trois voitures en moyenne, peuvent être recréées et entièrement reconstruites par an dans cet atelier, alors que les quelques dix autres sociétés en France qui travaillent dans ce secteur, ne pratiquent que la restauration plus ou moins complète, on se demande quels sont les délais et l’état des commandes.
Patrick DELAGE, nous explique :
« Vous seriez passé voilà un mois, nous étions très inquiets, nous n’avions pas particulièrement de demandes. IL se trouve que d’un seul coup, nous avons vu des prospects se transformer en clients d’une certaine manière, mais nous n’avons pas une très grande visibilité. Nous avons deux ans de travail. »
Pas si mal pour ce type d’activité, non !
Quant à savoir, comment la Société s’organise pour se faire connaître, le gérant nous indique :
« Cette année, nous avons été présents à Rétromobile, aux Salons de Monaco et de Genève. En 2012, nous serons à Rétromobile et nous réfléchissons pour savoir si nous n’irons pas en Allemagne aussi. Nous sommes toujours ouverts à faire visiter nos installations pour la Presse et le public. Ici, les portes sont toujours grand ‘ouvertes, contrairement à d’autres endroits. Chez nous ça n’est pas fermé, nous sommes bien au contraire fiers, de montrer ce que nous faisons. »
Cette fierté est tout à fait légitime.
Chaque artisan recherche sans cesse l’excellence dans l’authenticité. Aucune situation ne doit donner lieu à une réponse approximative.
L’inventivité complète et sublime l’habilité.
Le plaisir de sentir sous ses mains renaître les formes galbées à souhait d’une aile d’une Bugatti, d’une Delage, semble être une récompense renouvelée pour les tôliers, alors que le menuisier trouve son Graal, en reconstituant cette caisse d’Audi , dont il a maitrisé les formes les plus complexes pour une harmonie totale.
Le peintre, quant à lui ne cesse de rechercher la proximité totale avec les teintes de ces glorieuses anciennes.
Le lustré, la brillance et l’harmonie dégagés par ces carrosseries étincelantes, nous transportent dans cette époque d’avant-guerre, superbement retransmise, au point que l’on s’attend à croiser un conducteur, en costume d‘époque…
On comprend bien pourquoi Monsieur DELAGE appelle de ses vœux, une grande biennale des métiers d’art qui pourrait donner un coup de projecteur plus généraliste que le Salon Rétromobile, sur ces réalisations dont on ne dira jamais assez qu’elles sont EX-CEP-TIO-NNELLES !
Texte et Photos : Alain MONNOT
Petit rappel des « productions » des trois dernières années
2009 :
BUGATTI 57 Stelvio – RENAULT 40 CV – DELAYAHE 135 Figoni – TALBOT T 120 Graber
2010 :
BUGATTI Atalante découvrable – BUGATI Type 55
2011 :
BUGATTI Type 58C – DELAGE DS 1931 – HISPANO SUIZA 1920 et AUDI 1911